Si le design moderne devait avoir une nationalité, il serait à coup sûr italien... L’Italie a réuni au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale un creuset favorable au développement d’une industrie du meuble florissante. Comment ? Grâce à un cocktail détonant associant savoir-faire artisanal et industrie. Dans le même temps, les plus brillants architectes du pays se sont essayés au design industriel, réinventant un dialogue entre l’art et l’industrie. Et c’est ainsi que de petites entreprises industrielles, souvent familiales, ont exporté dans le monde entier le « style » italien. Du début des années 50 jusqu’à la fin des années 80, l’Italie a ainsi vécu un âge d’or où artistes et industriels ont travaillé de concert. Nous vous proposons d’illustrer ce propos avec 6 grandes figures du design italien, auxquelles il faut ajouter le talent de grands éditeurs.
Gio Ponti (1891-1979) est la figure tutélaire du design italien moderne. Architecte, designer et peintre, ce dernier a joué un rôle considérable dans l’essor du design italien. Il a certes créé des pièces iconiques du design d’après-guerre, comme par exemple les chaises Leggera et Superleggera, mais c’est surtout sa contribution à l’avènement d’institutions et d’événements prestigieux qui ont dynamisé la vie intellectuelle et artistique de son époque qui le rende incontournable. Ainsi, on lui doit la création dès 1928 de la fameuse revue internationale Domus, considérée comme la bible du design et de l’architecture et qui existe encore aujourd’hui. Et c’est aussi lui qui est à l’origine en 1954 du prix « Compasso d’Oro », un des prix internationaux de design de produit les plus influents et les plus anciens. Il a également contribué activement à la reconnaissance de la Triennale de Milan (1923) et formé plusieurs générations de designers parmi le plus talentueux...
Les frères Castiglioni (Achille : 1918-2002, Pier Giacomo : 1913-1968) ont insufflé dans le design italien d’après-guerre une sorte « d’intemporalité tranquille », concevant des pièces de mobilier à l’allure élégante et surtout fonctionnelles. Ne cédant pas aux différentes modes, leur style se démarque par la recherche d’une grande sobriété. Jusqu’au décès prématuré de Pier Giacomo, ils ont réalisé dans les années 50 et 60 un grand nombre d’objets pour des éditeurs industriels comme Flos (spécialiste du luminaire) ou Zanotta (univers de la maison). Achille Castiglioni a remporté pas moins de 9 Compasso d’Oro.
Ettore Sottsass (1917-2007) est peut-être le créateur italien le plus renommé encore aujourd’hui en France et dans le Monde. Une popularité qu’il doit à ses talents protéiformes qui lui ont permis de toucher à tout : l’objet industriel, le mobilier, la céramique, le graphisme et bien sûr l’architecture puisqu’il sort diplômé de l’Ecole Polytechnique de Turin en 1939. Son parcours est marqué par sa collaboration avec Poltronova, Olivetti, pour qui il conçoit la fameuse machine à écrire Valentine, et la Manufacture Nationale de Sèvres. Avant-gardiste, voir radical, il expose en 1972 au MoMA durant l’exposition Italy : The New Domestic Landscape, des prototypes de meubles containers sur roulettes illustrant l’évolution des modes de vie. Au début des années 80, il fonde le mouvement Memphis et invente un langage haut en couleur.
Joe Colombo (1930-1971) est l’étoile filante du design italien. Mort prématurément d’une crise cardiaque à 41 ans, il a, pendant ses 20 années d’activité, révolutionné le design et les formes de l’habitat individuel. C’est notamment lui qui développe dans les années 60, les concepts de meubles modulaires et de « cellules d’habitation ». Avant-gardiste, il colle à son époque et conçoit du mobilier transportable. Ses assises, comme l’extraordinaire Tube Chair, lampes, étagères, meubles de rangement, comme le fameux Chariot Bobby (1970), se distinguent par leur modularité et leur flexibilité. Joe Colombo était un boulimique de travail et un visionnaire...
Autre grande figure de l’âge d’or du design italien : Gae Aulenti (1927-2012). Diplômée en architecture de l’école polytechnique de Milan en 1953, Gae Aulenti, comme Gio Ponti, a occupé une place importante dans la vie intellectuelle et architecturale de son pays, collaborant notamment pendant 10 ans (1955-1965) à la revue avant-gardiste Casabella Continuità. Auteure de pièces de mobilier devenues des best-sellers comme par exemple la lampe Pipistrello, elle s’affirme rapidement dans un milieu, l’architecture, très masculin. Architecte, designer, intellectuelle, mais aussi professeure puisqu’elle enseigne d’abord à l’Institut universitaire d’architecture de Venise, puis au Politecnico de Milan. Scénographe, elle est réputée pour réhabiliter des bâtiments anciens en musées. On lui doit ainsi un grand projet : l'aménagement intérieur initial du musée d’Orsay (1980-1986) à l’occasion de sa transformation (d’une ancienne gare en un musée consacré à l’art occidental de 1848 à 1914).
À ces 6 grandes personnalités du design italien, il convient de rajouter un autre acteur : les maisons d’édition et industriels qui ont permis son essor. Citons ainsi la très ancienne entreprise turinoise Poltrona Frau, créée à Turin en 1912 par Renzo Frau, et qui a rapidement propulsé la marque au sommet de l’ameublement haut de gamme, symbole du savoir-faire « made in Italy ». Autre référence incontournable : Kartell, créée en 1949 par Julio Castelli et qui a constamment innové dans l’utilisation du matériau plastique. Joe Colombo a ainsi réalisé pour l’éditeur milanais la Chaise Universale (1967), considérée comme la première chaise moulée entièrement en plastique ! Impossible de ne pas citer l’éditeur Cassina, qui possède l'un des catalogues de mobilier les plus riches de l'histoire du design.
François Boutard