Le canapé « Ours Polaire » : icône du design organique et du chic à la française

En 2018, le prestigieux magazine américain Architectural Digest (AD) consacré au design d'intérieur et à l'aménagement paysager présentait un reportage photo sur la villa californienne de la star américaine Jennifer Aniston. De l’autre côté de l’Atlantique, on s’extasia non pas sur les qualités architecturales de la villa, mais bien sur une pièce de mobilier design à la conception française : l’extraordinaire canapé « Ours Polaire » du décorateur française Jean Royère. On est ici obligé de dire que la star planétaire de la série Friends, ou à défaut son décorateur missionné, a bon goût, tant cette assise incarne un design organique avant-gardiste pour l’époque. Cet article revient sur cette pièce culte du design de l’immédiat après-guerre.

Intérieur de la maison californienne de la star américaine Jennifer Aniston, à droite, le canapé « Ours Polaire » de Jean Royère.
Page de la revue française MOBILIER et DÉCORATION - N° 7 de septembre-octobre 1956 -. Le canapé « Ours Polaire » se trouve au 1er plan à droite.
Canapé Modèle « Boule » Dit « Ours Polaire », design Jean Royère, 1947.

Avant de discuter des qualités esthétiques et fonctionnelles de ce canapé iconique créé au lendemain du second conflit mondial, il convient de parler de son créateur de génie. Jean Royère (1902-1981) était un designer français dont le travail a marqué le XXe siècle par son originalité et son audace esthétique. Sa carrière a débuté dans les années 1930, après avoir abandonné une carrière dans l'import-export pour se consacrer pleinement au design d'intérieur. Royère n'était pas formellement éduqué en design ou en architecture – excepté une formation dans les ateliers d’ébénisterie du Faubourg Saint-Antoine à Paris -, mais cela ne l'a pas empêché de devenir l'un des décorateurs les plus influents de son époque.

Portrait de Jean Royère, vers 1930. © Les Arts Décoratifs Paris, tous droits réservés.

Il a rapidement gagné en renommée pour ses créations qui fusionnaient fonctionnalité et fantaisie, s'éloignant des conventions avec une approche autodidacte et innovante. Ses designs étaient caractérisés par des formes organiques, des couleurs vives et une utilisation inventive des matériaux, allant du métal forgé au bois et aux textiles luxueux.

Canapé et fauteuil, design Jean Royère, vers 1950.
Canapé et fauteuil, design Jean Royère, vers 1950.

Royère a étendu son influence bien au-delà de la France, avec des projets à travers l'Europe, le Moyen-Orient et l'Amérique du Sud, répondant à la demande internationale pour des intérieurs de haute couture. Ce pour quoi on lui accole plus volontiers l’étiquette de décorateur que designer. Ses œuvres, comme le fauteuil « Ours Polaire », demeurent des classiques du design, recherchées pour leur élégance intemporelle et leur charme espiègle.

Jean Royère a réalisé de nombreux projets au Proche et Moyen-Orient dans les années 1950, sollicité par des dirigeants et des souverains. Ici, projet de décoration pour le chah d’Iran, salon et cinéma privé.

Le fauteuil « Ours Polaire », ou « Boule » comme il a été initialement nommé, a été conçu en 1947 par Jean Royère pour décorer l'appartement de la mère du décorateur, situé rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Ce meuble emblématique incarne la transition du design d'intérieur d'après-guerre vers une esthétique plus organique, confortable et centrée sur l'humain, rompant avec les formes traditionnelles et austères de l'époque. Ce qui en fait aujourd’hui une pièce très recherchée par les collectionneurs du monde entier.

Pourquoi cette assise est-elle devenue une icône du design d’après-guerre ? Tout d’abord parce que Jean Royère, avec son approche innovante, a conçu un meuble invitant à la détente et au confort, en contraste frappant avec le formalisme d'avant-guerre. Ensuite parce que la silhouette du « Ours Polaire » démontre l'habileté de Royère à travailler les matériaux. Il utilisait souvent des tissus innovants pour l'époque, comme la laine bouclée, qui confère au fauteuil son aspect caractéristique doux et invitant. Cette sélection de matériaux non seulement défiait les normes esthétiques de l'époque, mais elle introduisait aussi une dimension tactile dans l'expérience du meuble, ce qui était assez novateur.

Le canapé « Ours Polaire », design Jean Royère, 1947. Le modèle est présenté dans sa couleur classique, le blanc, par la Maison Jean Royère. L’assise est recouverte d’un velours d’alpaga à poils longs Maison Royère. La Maison Royère fait revivre le génie de Jean Royère (depuis 2019) -, en fabriquant ses meubles les plus emblématiques et les plus originaux.

Esthétiquement parlant, le canapé se distingue par ses formes voluptueuses et son apparence moelleuse, évoquant une peluche. Avec ses larges accoudoirs arrondis et son assise généreuse, le design du fauteuil encourage à s'immerger dans son confort enveloppant. En évoquant le meuble, les experts font référence aux formes biomorphiques des sculptures de Jean Arp (1886-1966) ; la forme naturelle de l’assise l’emporte en effet sur l’aspect fonctionnel, grâce à un design organique qui privilégie l’expression de formes fluides.

Sculpture en calcaire de Jean Arp, Self-Dissolving Shell, 1936.
Fauteuil « Ours Polaire », d’après le design de Jean Royère, la déclinaison fauteuil du canapé. Ici modèle réalisé par le collectionneur Wolfgang Joop qui a veillé à ce que l'essence et le caractère du fauteuil « Ours Polaire » réalisé par Jean Royère soient fidèlement préservés.
Fauteuil « Ours Polaire » de Wolfgang Joop, d’après le meuble conçu par Jean Royère. Vue de dos, une assise enveloppante qui invite à la douceur ...

En outre, le fauteuil est monté sur de discrets pieds en bois qui semblent à peine capables de soutenir sa forme ample, ce qui ajoute à l'illusion qu'il flotte au-dessus du sol. Cette légèreté visuelle était une prouesse à l'époque, où la robustesse était souvent privilégiée au détriment de l'élégance aérienne. Aussi serait-on tenté de comparer le célèbre fauteuil de Jean Royère à la non moins fameuse création de Charles & Raymes Eames, La Chaise, qui, à la même époque (1948), fait référence à la sculpture « Personnage flottant » de Gaston Lachaise et s’inscrit dans la recherche d’un design organique aux courbes fluides.

« La Chaise », modèle conçu par Charles & Ray Eames, 1948.
Jean Royère a conçu d’autres pièces aux formes fluides et organiques comme cette table base en chêne, modèle Table Forme Libre n°1, conçue dans les années 50.
Autre illustration de la créativité de Jean Royère en matière de design organique : la sculpturale applique murale Liane. Ici, modèle composée de 5 "lianes" en métal laqué noir et de 5 abat-jours en tissus blanc.

L'influence de ce fauteuil sur le design d'après-guerre est indéniable. Il a ouvert la voie à un mobilier qui célèbre et encourage le confort personnel, tout en étant un objet de design sculptural et expressif. Aujourd'hui, le « Ours Polaire » continue d'être célébré dans les ventes aux enchères et les expositions de design comme un symbole du génie créatif de Jean Royère, et comme un témoignage du pouvoir du design dans la reconstruction culturelle et esthétique d'une société.

Fauteuil modèle Éléphanteau, design Jean Royère, 1939. Bien avant le fameux « Ours Polaire », Jean Royère concevait une assise au design enveloppant et élégant !

François Boutard 

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