Contrairement à ses homologues italiens, scandinaves, français et américain, le design anglais se fait assez discret dans la première partie du XXème siècle, ainsi qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Le Royaume-Uni, l’Angleterre surtout, possède pourtant une véritable histoire du mobilier. On parle d’ailleurs de style anglais et non de design anglais, car remontant aux siècles précédents : de la Renaissance au début du XIXème siècle. Le goût anglais prononcé pour les meubles en bois, l’acajou notamment, avec des formes classiques caractéristiques de la décoration anglaise, ne s’exporte pas ou très peu.
Hormis la figure de William Morris (1834-1896), fabricant de meubles et d'objets d'art anglais qui défend et milite pour réhabiliter le travail fait main, et rapprocher l’artiste de l’artisan (Mouvement Arts Crafts, « Arts et artisanats », 1880-1910), il faut attendre le début des années 60 pour voir une personnalité anglaise obtenir une reconnaissance qui dépasse les frontières de son pays en la personne de Robin Day. Mais ce n’est que depuis la fin des années 70 que le design anglais s’affirme, grâce à une génération exceptionnelle de créateurs nés dans les années 50 et qui continuent aujourd’hui d’exprimer leur talent. Y a-t-il un ADN du design anglais ? Pour résumer, on pourrait dire de lui qu’il combine à la fois pragmatisme, technique, amour des formes organiques et créativité.
Robin Day (1915-2010) diplômé du Royal College of Art de Londres lance avec sa femme, Lucienne Day (1917-20102), son propre studio de design en 1948. Adepte d’un design joyeux qui utilise les nouveaux matériaux de l’époque, il crée en 1962 la fameuse chaise « Polyprop » appelée ainsi car elle est composée d'une unique coque en polypropylène fixée sur des pieds en acier tubulaire. Conçue pour le fabricant de meuble anglais Hille, dont il prendra la direction du design, la « Polyprop»est un succès puisqu’elle se vend à des millions d’exemplaires. Robin et Lucienne Day sont considérés comme les pionniers du design moderniste en Grande Bretagne.
2 créateurs anglais d’origine étrangère mais qui vont s’implanter à Londres vont ensuite imprimer leur marque ; 2 personnalités fortes, formées dans les années 70 à l’Architectural Association School of Architecture de Londres : Zaha Hadid (1950-2016) et Ron Arad (1951).
La première est née dans une famille sunnite de la classe supérieure à Bagdad en Irak, part au Liban où elle étudie les mathématiques à l'université américaine de Beyrouth, avant de déménager à Londres pour étudier l'architecture à l’Architectural Association School of Architecture. Zaha Hadid, malheureusement emportée par une crise cardiaque en 2016, est surtout connue pour ses bâtiments à l’architecture sophistiquée. Elle lance dès 1980 son agence mais collabore aussi avec des éditeurs internationaux, italiens notamment : Alessi, BB Italia, CITCO, LAB23, etc.
Formé par l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi à l’Architectural Association School of Architecture de Londres, à la même époque que Zaha Hadid, Ron Arad est né en 1951 à Tel-Aviv. Il rencontre le succès dès le début des années 80 avec le fauteuil Rover(1981) et la Well-Tempered Chairen 1986. En 1993, il est l’auteur d’un best-seller mondial, l’étagère Bookworméditée chez Kartell. Ron Arad est un designer très créatif avec une approche artistique qui le conduit à manipuler, expérimenter et transformer les matériaux.
Chose très heureuse pour le design anglais, Zaha Hadid et Ron Arad ont des successeurs de talent qui font du design britannique une référence mondiale. 3 personnalités singulières nées à la fin des années 50 se détachent : ce sont Ross Lovegrove (1958), Jasper Morrison (1959) et Tom Dixon (1959).
Le premier, Ross Lovegrove, se définit avant tout comme un designer industriel (il travaillera sur la conception des baladeurs Walkman de la marque Sony, ainsi que sur l'ordinateur iMac), un esthète de la technique et qui apprécie, par-dessus tout, le design organique(lien vers site design-market).En 1990, il marque l’histoire du design avec un objet à priori basique, mais qu’il revisite incroyablement : une simple carafe thermos qu’il transforme en objet transparent explorant la relation entre intérieur et extérieur. Un des concepts peut-être parmi les plus copiés du design contemporain. La nature est une inépuisable source d’inspiration pour ce designer hors norme qui crée des œuvres aux courbes épurées, sobres et authentiques.
Né la même année, Jasper Morrison est peut-être aujourd’hui la personnalité du design britannique la plus influente. Comme Ross Lovegrove, c’est un amoureux de la forme. Diplômé de la Kingston Polytecnic Design School et du Royal College of Art de Londres, Morrison conçoit des pièces fonctionnelles, sobres et synthétiques, en un mot un design minimaliste, à l’opposé du mouvement italien Memphis du début des années 80. On peut dire de lui qu’il est le digne successeur de Robin Day et d’un design anglais de tradition pragmatique (les anglais ayant traditionnellement toujours préféré l’utilité et le confort à la décoration). Il prône un retour à la primauté de la fonction dans l’objet.
L’enfant terrible du design anglais contemporain s’appelle Tom Dixon (1959). Un parcours atypique pour cet autodidacte qui découvre son amour du design en s’essayant à la soudure. Il démarre en concevant des meubles en métal recyclé pour ses amis. Il rencontre rapidement le succès avec des pièces qui incarnent un nouvel esprit industriel. Un amour immodéré pour les matériaux bruts, l'artisanat et les formes industrielles. Une image rock’n’roll mais un travail reconnu dans le monde entier qui le propulse directeur artistique pour Habitat et Artek, la célèbre société fondée par Alvar Aalto.
Si l’on voulait résumer en quelques mots le design anglais contemporain, on pourrait dire de lui qu’il a hérité d’une préférence pour la fonctionnalité de l’objet, mais que des personnalités créatives lui ont depuis insufflé une modernité esthétique alliée à un art subtil du décalage, entre pragmatisme et inventivité…
Aujourd’hui, ce sont les talentueux Edward Barber (1969) et Jay Osgerby (1969) qui ont repris avec talent le flambeau laissé par une génération de designers fascinants.