Le Bauhaus, une école moderne centenaire !

Le Bauhaus fête ses 100 ans ! On pense souvent à tort qu'il s'agit seulement d'un mouvement artistique : l'irruption de la modernité en architecture, en design, dans le textile, le graphisme, juste après la première guerre mondiale. Des fauteuils et des objets design, qu'on collectionne.

Qui n’a jamais entendu parler du Bauhaus, cette école d’art allemande qui en une décennie (1919-1933) a rassemblé l’avant-garde artistique européenne ? Pensez-y : les architectes/designers Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe, Le Corbusier, Marcel Breuer, Theo Van Doesburg ; les artistes Paul Klee, Wassily Kandinsky ou encore Josef Albers ont tous enseigné dans cette école. Une ruche créative en perpétuelle ébullition. Mais qu’est-ce qui a fait la modernité révolutionnaire pour l’époque de cette école d’art ? Le Bauhaus. On oublie souvent que c'est avant tout une école qui a réuni toute l'avant garde artistique allemande et au-delà, avec la volonté d'unir l'art et la technique et inventer une autre manière d'habiter et de vivre. Une école qui a révolutionné notre rapport aux objets, leur beauté, leur coût, leur utilité. Walter Gropius, architecte, designer et urbaniste allemand (1883-1969) fonde le Bauhaus de Weimar le 1er avril 1919. L’école naît de la fusion de l’école grand-ducale des beaux-arts de Weimar et de l’école d’arts appliquées. Littéralement, Bauhaus signifie maison de la construction (de l'allemand Bau, « bâtiment, construction », et Haus, « maison »). Walter Gropius a pour ambition de sortir les artistes de leur isolement et de les remettre au centre de la vie communautaire, car détenteurs d’un savoir-faire artisanal. Ce faisant, il prône l’alliance de l’industrie, de la modernité et de l’esthétique, un concept qui descend directement du mouvement des Arts et Crafts de William Morris. Gropius veut ainsi rendre caduque la distinction entre les beaux-arts et la production artisanale.

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Walter Gropius, portrait.

Pour enclencher une complémentarité dynamique entre art et artisanat, le programme du Bauhaus prévoit, dès 1920, la création d’ateliers avec, pour chacun d’entre eux, la désignation d’un « maître-artisan » et d’un artiste, « maître de la forme ». Les élèves sont des apprentis, peuvent devenir des compagnons, puis sont reconnus comme maîtres. La terminologie n’est pas neutre, Walter Gropius se réfère directement à l’organisation du travail au Moyen-Âge sur les chantiers des cathédrales où tous les corps de métiers étaient organisés hiérarchiquement de la sorte et où surtout, ils se rassemblaient pour construire l’œuvre finale, la cathédrale. En 1923, l’école du Bauhaus organise une exposition importante qui a valeur de test pour Gropius. Une maison prototype, la maison Am Horn est présentée au public. Dessinée par Georg Muche, peintre et maître du Bauhaus de Weimar, elle synthétise l’esprit que veut faire souffler le Directeur sur son école : la réalisation architecturale comme œuvre d’art finale à laquelle concourent tous les autres savoir-faire artisanaux. De l’aménagement de la cuisine au design des meubles et des objets signés Marcel Breuer, en passant par la peinture murale, les tissus et tapisseries, chaque atelier du Bauhaus a travaillé à la conception de la maison.

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La maison-résidence am Horn, architecte Georg Muche, 1923, Ecole du Bauhaus.

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Intérieur de la maison am Horn, table et fauteuils conçus par Marcel Breuer, 1923, Ecole du Bauhaus.

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Intérieur de la maison am Horn, mobilier intérieur conçu par Marcel Breuer, 1923, Ecole du Bauhaus.

D’un point de vue architectural, la maison am Horn reflète les orientations de Gropius pour l’expression de formes exactes et une certaine unité dans l’organisation des pièces de la maison. L’unité des formes et des couleurs est recherchée, Gropius et ses condisciples fuient l’ornement architectural. Après ce premier succès, le gouvernement local décide de couper les aides financières pour l’Ecole, jugée trop proche des théories bolchéviques. L’école rouvre en 1925 à Dessau avec toujours à sa tête Walter Gropius. Ce dernier mûrit l’idée d’un enseignement plus pragmatique. Le Bauhaus doit former des artistes capables de réaliser certains prototypes pour l’industrie. Exit les ateliers de pratique de la céramique, sculpture sur pierre et sur bois, remplacés par des enseignements sur l’art du bois, le tissage, la peinture murale et surtout le métal. Le peintre et photographe hongrois Moholy-Nagy dirigeant notamment ce dernier atelier. À Dessau, L’enseignement conserve cependant ses particularités, révolutionnaires pour l’époque : une formation initiale de six mois prolongés par trois années de travail dans des ateliers multidisciplinaires intégrant le double tutorat (enseignement de la forme et de la pratique).

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Le bâtiment universitaire du Bauhaus à Dessau conçu par Walter Gropius, 1925-1926. Walter Gropius y a projeté sa vision de l’architecture moderne : façades transparentes avec l’utilisation du verre, les différentes ailes du bâtiment sont asymétriques.

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Autre vue du bâtiment universitaire du Bauhaus à Dessau.

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Le bâtiment du Bauhaus de Dessau aujourd'hui.

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Maisons réservés aux maîtres de l’Ecole du Bauhaus, à Dessau. Architecte : Walter Gropius, 1925-1926. Les aménagements intérieurs ont tous été réalisés dans les différents ateliers du Bauhaus.

Le Bauhaus adapte ses enseignements aux exigences de l’industrie, en ce sens il est un précurseur du design industriel. Marcel Breuer (1902-1981), architecte et designer de mobilier d’origine hongroise, professeur au Bauhaus (menuiserie), conçoit en 1925 la célèbre chaise Wassily ou chaise modèle B3. Le modèle est révolutionnaire dans sa fabrication et les matériaux utilisés (acier courbé tubulaire et toile). En 1928, il récidive avec une assise novatrice : la chaise Cesca ou modèle B32. Breuer utilise l’acier tubulaire chromé pour le piètement. La chaise dit « cantilever » est sans pieds à l’arrière, de sorte qu’elle semble flotter dans l’espace.

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Chaise Wassily, Marcel Breuer, 1925. Depuis 1968, la chaise est éditée chez Knoll.

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Chaise Wassily de Marcel Breuer, détail.

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Chaise Cesca sans accoudoirs, design Marcel Breuer, 1928. Modèle édité chez Knoll.

Entretemps, les architectes Mart Stam, qui enseigna au Bauhaus, et Ludwig Mies van der Rohe qui en deviendra de 1930 à 1933 le dernier directeur, avait eux-aussi expérimenté la chaise cantilever avec des modèles confortables, élégants et fonctionnels aux lignes sobres (signature du Bauhaus) qui sont devenus depuis des classiques du design.

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Chaise S 33, design Mart Stam, 1926. Editée chez Thonet. Chaise considérée comme le premier piétement luge (chaise cantilever) de l’histoire du meuble. Mart Stam et Marcel Breuer se disputeront la paternité de l’invention.

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Chaise S 533 R, design Ludwig Mies van der Rohe, 1927. Editée chez Thonet.

1928 marque également la décision de Gropius de confier la direction de l’école à l’architecte suisse Hannes Meyer. Avec lui partent deux personnalités importantes de l’école : Marcel Breuer et László Moholy-Nagy (1895-1946). En 1930, la municipalité de Dessau exige la démission de Meyer en raison de son orientation communiste. Pour sauver l’école, Walter Gropius intervient et nomme à sa tête Ludwig Mies van der Rohe. Ce dernier renforce l’importance de l’enseignement théorique aux dépens de certains ateliers, et ce au profit de l’architecture, qui devient la matière reine de l’école. Ludwig Mies van der Rohe, un des plus grands architectes du XXème siècle, va imposer des avancées majeures dans l’architecture moderne. On lui doit ainsi une réalisation emblématique de ce qui préfigurera le style international au sortir de la seconde guerre mondiale. En 1929, il représente l’Allemagne à l’exposition universelle de Barcelone et réalise le fameux pavillon allemand. Il s’agit d’un bâtiment situé au pied du Palais national qui contraste avec les autres édifices de l’exposition. La structure se compose de huit poteaux en acier qui supportent un toit plat, avec de grandes baies vitrées et quelques cloisons allant du sol au plafond. Mies van der Rohe y expérimente deux concepts. Le plan libre : les murs ne sont plus porteurs, ils délimitent l’espace comme des cloisons ; et la fluidité de l’espace : les façades en verre font que l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent et se confondent. Ludwig Mies van der Rohe est alors le premier à imposer la transparence en architecture. La pureté des lignes fait de cet édifice un joyau de l’architecture moderne. L’architecte allemand conçut pour l’occasion le mobilier intérieur comprenant la fameuse chaise Barcelona, devenue une icône du design moderne. 14

Vue principale du pavillon allemand de l'exposition universelle de Barcelone, 1929. Réalisation : Ludwig Mies van der Rohe.

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 Vue principale du pavillon allemand de l'exposition universelle de Barcelone, 1929. Réalisation : Ludwig Mies van der Rohe.

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Intérieur du pavillon allemand. Au premier plan, les célèbres chaises Barcelona conçus par Mies van der Rohe. Pour réaliser le mobilier intérieur, l’architecte travailla de concert avec Lilly Reich (1885-1947), enseignante au Bauhaus et sa plus proche collaboratrice.

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Le pavillon allemand de l’exposition universelle tranche avec les autre bâtiments de l’exposition : Mies van der Rohe y a utilisé des matériaux luxueux dont le marbre, le travertin ou l'onyx rouge.

La fin des années 20 et le début des années 30 marquent le crépuscule de l’école. La ville de Dessau décide de fermer l’école en 1932. Ludwig Mies van der Rohe finance alors la réouverture de l’école à Berlin, mais le 11 avril 1933, la Gestapo la fait définitivement fermer. Cet événement marque la fin d’une aventure exceptionnelle qui marqua durablement l’histoire de l’architecture et du design moderne.

rédigé par François Boutard

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