Gio Ponti, le père du design industriel italien

Giovanni Ponti (1881-1979), appelé "Gio" Ponti, est une figure majeure du design italien et international du XXème siècle. Il est difficile de résumer une carrière aussi longue en quelques lignes puisque des années 20 jusqu’à la fin des années 70, cette personnalité originale et éclectique fut à la fois un architecte renommé, décorateur d’intérieur, un des premiers à faire rentrer le design dans l’ère industrielle, un enseignant qui forma plusieurs générations de designers, un organisateur d’événements majeurs et un auteur respecté. À l’instar de son compatriote Joe Colombo, Ponti était un boulimique de travail et un créateur acharné. Pour comprendre l’influence considérable que Gio Ponti exerça sur ses contemporains, il faut d’abord noter que l’homme fut une personnalité centrale de la vie artistique et institutionnelle italienne du XXème siècle. En plus de ses propres travaux, le milanais créa en 1928 la célèbre revue Domus, considérée comme beaucoup comme la Bible de l’architecture et du design et qu’il continua de diriger jusqu’à sa mort, excepté une courte période durant laquelle il collabora à la revue Lo Stile. Très impliqué dans l’essor de l’industrie italienne du mobilier d’après-guerre, Gio Ponti contribua à créer en 1954 le prix Compasso d’oro, qui récompense des créations made in Italy. Ce prix existe toujours, les plus grands du design l’ont reçu, comme par exemple Ettore Sottsass, Vico Magistretti, Konstantin Grcic ou Philippe Starck . Autre fait d’arme qui plaça ce créateur italien au cœur de l’écosystème architectural de son pays, sa nomination dès 1925 à la tête de La Biennale de Monza, un des premiers événements internationaux consacré aux arts décoratifs. Sous son impulsion, la Biennale de Monza devint en 1933 une Triennale qui se tiendrait désormais à Milan, capitale du design. La 22ème édition de cette manifestation incontournable aura d’ailleurs lieu du 1er mars au 1er septembre 2019. En tant qu’architecte, Gio Ponti se fait connaître en 1925, pour sa propre maison via Randaccio à Milan, puis pour la maison de campagne l’Ange Volant à Garches (France), sa première commande à l’étranger. L’architecte use d’un langage néoclassique. Le style est académique, reconnaissable par exemple dans la façade via Randaccio, ornées d’obélisques, ou encore dans le caractère palladien de l’Ange Volant...

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Maison personnelle de Gio Ponti, via Randaccio à Milan (1924-1926).

La Villa Bouilhet ou maison de l'Ange Volant, Garches. Architecte : Gio Ponti, 1926. La maison de style palladien fut construite pour Tony Bouilhet, directeur à l’époque de la marque Christofle. C’est Gio Ponti qui a donné à cette maison familiale le nom de « L’Ange Volant », en référence à Carla Borletti, l’épouse de Tony Bouihet, mais aussi la nièce par alliance de Gio Ponti (par son épouse milanaise Giulia Vimercati).

Maison de l’Ange Volant, Garches, vue de l’intérieur.

Considéré comme un des maîtres de l’architecture italienne, Gio Ponti abandonnera progressivement le style néoclassique pour réfléchir et concevoir un habitat moderne. Sa réalisation la plus emblématique reste la Tour ou gratte-ciel Pirelli (Torre Pirelli), réalisée de 1956 à 1960 à Milan, en collaboration avec l'ingénieur Pier Luigi Nervi. Elle illustre l’obsession de l’architecte dans sa recherche de la forme parfaite, qu’il conceptualise comme une forme « finie », symbolisée par le cristal. L’architecture du bâtiment milanais ne permet ainsi ni ajout et/ou modification.

Tour Pirelli, 1956-1960, Milan. Architectes : Gio Ponti, Alberto Rosselli, Antonio Fornaroli et Luigi Nervi.

Parallèlement à sa carrière d’architecte, le maestro italien va initier la culture du design dans l’Italie, dès les années 20 et 30. Près de 1000 projets de design émailleront sa carrière : chaises, tables, canapés, luminaires, appareils domestiques, meubles et installations sanitaires ; pour Cassina, Artemide, Frau ou Ideal Standard… Mais la chose la plus remarquable est qu’il passe pour beaucoup, à juste titre, comme l’accoucheur du design industriel italien. En effet, en 1923, Gio Ponti devient directeur artistique de la Manufacture de porcelaine Richard Ginori qui marque le renouveau de la céramique italienne d’art. Persuadé de la réconciliation nécessaire entre l’artisanat d’art et l’industrie – à l’image des enseignements du Bauhaus à la même époque – Gio Ponti fait passer la Manufacture de l’ère artisanale à la production en série. Il renouvelle pour cela l’ensemble de la production, et créée notamment la collection Grandi Pezzi d’Arte Destinati alle Collezzioni e ai musei (Grandes pièces d’art pour collectionneurs et musées).

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Gio Ponti et Libero Andreotti, La Conversazione Classica, collection Grandi Pezzi d’Arte Destinati alle Collezzioni e ai musei, porcelaine en majolique, Manufacture Richard Ginori, 1927

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Gio Ponti, vase en majolique Prospettica, collection Grandi Pezzi d’Arte Destinati alle Collezzioni e ai musei, Manufacture Richard Ginori, 1926.

Gio Ponti sait tout faire avec talent. En 1933, il dessine pour Fontana Arte, filiale de de l’entreprise Luigi Fontana dont il a pris la direction artistique en 1931, la suspension 0024, luminaire décliné également sous forme de lampadaire. Des disques horizontaux en verre trempé transparent forment une sphère élégante et intemporelle. Dans un tout autre style, toujours pour FontanaArte, il avait conçu un an auparavant la lampe Bilia, ayant pour base une sorte d’obélisque géométrique, forme qu’il affectionne tout particulièrement.

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Suspension 0024, design Gio Ponti, pour FontanaArte, 1933. La suspension figure toujours au catalogue de l’éditeur italien.

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Lampe Bilia, design Gio Ponti pour FontanaArte, 1932. La Bilia, comme la Suspension 0024 fait toujours partie du catalogue de l’éditeur italien.

Esprit créatif, Gio Ponti bouleverse en 1948 la machine à café italienne. Il réalise, à la demande du fabricant italien La Pavoni, une Machine à Expresso au style unique. Aidé des designers Antonio Fornaroli et Alberto Rosseli, il conçoit le système de chaudière qui chauffe l’eau sous pression, le corps de la machine étant conçu horizontalement, une première. Le design, d’inspiration industrielle, met en valeur les lignes courbes de la machine qui exhibe de superbes distributeurs en inox chromé. La Cornuta (La Corne) est née, elle devient le symbole de la Dolce Vita à l’italienne.

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Machine à expresso La Cornuta, design Gio Ponti pour La Pavoni, 1948.

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Machine à expresso La Cornuta, des chromes rutilants pour une ligne épurée, un objet devenu culte…

Enfin, on ne peut évoquer le génie du design qu’est Gio Ponti sans évoquer la Chaise 699 Superleggera conçue pour l’éditeur Cassina en 1957. À la recherche d’une assise à la fois légère et robuste, compatible avec la production en série, Gio Ponti réussit un coup de maître. Sa chaise, qui ne pèse que 1,7 kg, est conçue sans vis ni clous, tous les éléments s’emboîtant.

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Chaise 699 Superleggera, design Gio Ponti pour Cassina, 1957.

Les pieds de l’assise à section triangulaire, très fins, illustrent le goût permanent de Gio Ponti pour l’expérimentation, et sa recherche d’un équilibre entre légèreté et pesanteur. Son design est profondément marqué par cette quête, entre complexité et simplicité, tension et détente ou encore passé et avenir. Toujours éditée chez Cassina, avec une édition limitée sortie en 2016, la 699 Superleggera est devenue une icône du design moderne. Aujourd’hui, la plupart des meubles créés par Gio Ponti sont fidèlement refabriqués et réédités chez l’éditeur italien Molteni et C.

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Chaise 699 Superleggera, Edition limitée 2016 chez Cassina. La nouvelle version de la chaise est revisitée avec le tissu Boxblocks conçu par l’artiste hollandais Bertjan Pot.

François Boutard

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