Charlotte Perriand : un siècle de design

De ses collaborations avec Le Corbusier à la station des Arcs, (re)découvrez l'histoire et l'oeuvre de Charlotte Perriand... Née en 1903 à Paris, cette femme indépendante dans un milieu, l’architecture et le design, alors exclusivement masculin au début du siècle précédent, traversera le XXe siècle en ne cessant de multiplier les projets. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1999, cette savoyarde d’origine continuera d’exercer son talent. J’en veux pour preuve la réalisation en 1993, à 90 ans, de la Maison de Thé, un espace dédié à la culture japonaise du thé, à la demande du cinéaste japonais Hiroshi Teshigahara pour l’Unesco.

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Aperçu de la Maison de Thé créée par Charlotte Perriand en 1993 et reconstituée selon les plans d'origine au 2ème étage sous la verrière du Bon Marché en 2011. Source : autourdellesblogspot

Mais pourquoi donc avoir fait appel à une designer française pour revisiter la quintessence de la culture japonaise ? Le 15 juin 1940, Charlotte Perriand embarque pour le Japon où le poste de conseillère dessinatrice en art décoratif auprès du Ministère du Commerce japonais lui a été proposé. Durant sept années, entrecoupées d’un voyage en Indochine, Perriand découvre la singularité de l’artisanat japonais : travail du bois et sens de l’épure. Elle retournera au Japon dans les années 50 et présentera, dans la capitale japonaise en 1955, une exposition majeure : Proposition d’une synthèse des arts, Paris 1955. Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand.

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Vue de l’exposition : Proposition d’une synthèse des arts, Paris 1955. Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand. De chaque côté de la table, fauteuils à structure en acier chromé poli, OMBRA, 1953. Rare guéridon empilable dit "Table Air France", 1953. Dans la bibliothèque, œuvre de Fernand Léger dont Charlotte Perriand était très proche.

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La fameuse chaise OMBRA TOKYO, conçue en 1954 par Charlotte Perriand au Japon et présentée un an plus tard lors de sa grand exposition à Tokyo. Cette chaise, empilable et légère est une référence directe à la tradition japonaise de l’origami, soit l’art du pliage. Comme pour une feuille de papier, la chaise de Perriand prend forme au gré de pliages subtils. Source : lvc-design

Très inspirée par sa première période japonaise, la designer pourra compter sur l’emblématique architecte et designer nancéien Jean Prouvé (1901-1984), pour lui permettre de fabriquer en série du mobilier influencé par l’esthétique nippone. Au début des années 50, les Ateliers Jean Prouvé éditent ainsi du mobilier signé Perriand. De cette période, on retiendra notamment le travail de la designer sur les éléments combinatoires d’une bibliothèque.

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Bibliothèque de la Maison de Tunisie, design Charlotte Perriand, 1952. Fabrication Ateliers Jean Prouvé et André Chetaille. Source : blog-espritdesign

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Bibliothèque La maison du Mexique, réalisée pour la Maison du Mexique en 1952 à Paris. Un meuble double-face utilisé comme une cloison amovible pour séparer deux espaces de vie. Comme pour la bibliothèque Tunisie, Perriand invente une esthétique aérée, des couleurs joyeuses et une nouvelle ergonomie grâce aux casiers amovibles métalliques coincés entre les étagères. Source : barnies

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Charlotte Perriand, système de rangements NUAGE. C’est l’éditeur Cassina qui réédite aujourd’hui les systèmes de rangement modulaires conçus par Charlotte Perriand au début des années 50.Source : cassina

Mais avant d’être demandée au Japon puis de pouvoir compter sur la figure tutélaire de Jean Prouvé, Charlotte Perriand a fait très tôt ses preuves avec une autre figure emblématique de l’architecture du XXe siècle, Le Corbusier (1887-1965). Sortie diplômée de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (UCAD) en 1925, la jeune Charlotte est rapidement repérée suite à la présentation, deux ans plus tard, de son fameux Bar sous le toit au Salon d’automne. À 24 ans, le mobilier que présente cette jeune femme dynamique est très avant-gardiste, il ringardise le style Art déco et met au goût du jour des matériaux modernes et industriels comme l’acier. Elle perfectionne son projet en 1928 à l’occasion de la présentation de sa Salle à Manger 1928, pour le Salon des artistes décorateurs.

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Charlotte Perriand, Bar sous le toit, 1927. Pour Perriand il s’agit d’une véritable reproduction du hall de son appartement situé place Saint Sulpice à Paris. Très moderne, elle présente un espace équipé d’un plateau de bar incurvé, de tabourets et d’un canapé, ainsi que d’une table basse. Le mobilier du bar en acier brillant fait sensation, tout autant que les fauteuils en cuir bleu violet et rose. Source : architectural-review

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Charlotte Perriand, Salle à manger 1928, présentation au Salon des arts décoratifs de 1928. Autour de sa Table extensible aux piétements en tube d'acier chromé, on reconnait 2 Fauteuils Pivotants B 302 construits sur le modèle des tabourets tournants de cuisine. Source : centrepompidou © F.L.C. / Adagp, Paris 2007

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Charlotte Perriand, Table extensible, 1927. Le cadre est en aluminium, le plateau est recouvert d'une feuille de caoutchouc déroulante grâce à des roulements à bille. Grâce à un mécanisme interne, la table permet de passer de 5 à 8 personnes. Source : centrepompidou © Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP, © F.L.C. / Adagp, Paris, © Adagp, Paris

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Charlotte Perriand, Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Fauteuil B 302, 1928. Produit par Thonet à l’époque, la structure est en tube d'acier chromé, l’assise est garnie de mousse de latex et le revêtement est en cuir.

La modernité et le sens pratique de Charlotte Perriand plaît au célèbre architecte suisse Le Corbusier qui l’embauche dès 1927 au sein de son cabinet d’architecture, elle en devient associée en 1928. Durant une décennie, la designer supervise la réalisation du mobilier intégré aux projets architecturaux du maître. Elle crée alors des pièces de mobilier passés à la postérité depuis, dont la fameuse Chaise Longue LC4, encore appelée Chaise Longue Le Corbusier, ou encore les Fauteuils LC1 et LC2.

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Chaise Longue LC4 Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, 1928. Editée chez Cassina depuis 1965, la LC4 est un des modèles les plus célèbres du design moderne. Source : cassina

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Fauteuil LC1, design Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, 1928. Cette pièce ultra élégante du fait de sa sobriété et ses lignes géométriques est aujourd’hui rééditée à l’original par le fabricant italien Cassina. Source : ambiantedirect

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Fauteuil LC2 Poltrona édité chez Cassina. Design : Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand, 1928. Classique et rationnel, le Fauteuil LC2 est un Must du design du XXème siècle, lancé en production depuis 1965. Source : cassina

C’est notamment lors de ces années passées à travailler aux côtés de Le Corbusier que Charlotte Perriand fait la connaissance de Junzô Sakakura (1901-1969), le premier architecte japonais reconnu sur la scène internationale. C’est lui qui lui propose le poste attaché au Ministère du Commerce japonais en 1940. Si Charlotte Perriand conçoit du mobilier avant-gardiste, elle possède une fibre sociale qui l’amène à développer des projets en lien avec les politiques de son époque. C’est ainsi qu’en 1936, à la demande de Georges Monnet, Ministre de l'Agriculture dans le premier gouvernement Blum, elle réaménage la salle d’attente du Ministère. Pour cela, elle réalise un photomontage impressionnant destiné à faire la promotion de la politique agricole du Front Populaire.

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Photomontages installés dans la salle d’attente du Ministère de l’Agriculture à Paris, dédiés à la promotion de la politique agricole du Front Populaire, 1936. Source : pixelcreation

Photomontage réalisé par Charlotte Perriand et Fernand Léger pour le Pavillon du ministère de l’Agriculture, Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, Paris, 1937. Source : stylepark

Ce n’est pas la première fois qu’elle utilise le medium photographique. En 1936 toujours, elle avait présenté un autre photomontage impressionnant mêlant photographies et collages : La Grande Misère de Paris, pour le Salon des arts ménagers de Paris. Dans celui-ci, long de 16 mètres, elle dénonçait les conditions de vie misérables de la classe ouvrière parisienne. Son objectif : interpeller les élus sur la situation catastrophique du logement urbain dans la Capitale et sa banlieue.

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Vue de l’exposition Charlotte Perriand au Musée Nicéphore Niépce, 2012. Photomontage de Charlotte Perriand : La Grande Misère de Paris, créé en 1936 pour le Salon des arts ménagers de Paris. Source : museeniepce

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Charlotte Perriand, Salle de séjour à budget populaire, 3e Exposition de l'habitation, Salon des arts ménagers, 1936. Charlotte Perriand présente, en plus de sa monumentale fresque La Grande Misère de Paris, du mobilier conçu pour les classes populaires et économiquement accessible, témoignant de son engagement dans les questions sociales de son époque. Source : mediation.centrepompidou Photographie M. Gravot © AchP, Adagp, Paris 200

Charlotte Perriand a la passion des voyages et le goût de l’aventure. Skieuse émérite, elle nourrit une grande passion pour la montagne. En 1936-1937, elle réalise des éléments préfabriqués qui s’articulent entre eux à l’aide d’une ossature faite de tubes d'aluminium légers et robustes pour le « Refuge Bivouac », avec l’aide de l’ingénieur André Tournon, et installé au col de Mont Joly (Megève).

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Descriptif du Refuge Bivouac, 1936-1937. Conception et réalisation par Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret et André Tournon. En haut et en bas à droite le visage souriant de Charlotte Perriand. Source : slideshare

Mais l’un des grands projets de la seconde moitié de sa vie sera sa participation à la construction de la station de sports d’hiver des Arcs. Roger Godino, promoteur immobilier à l’initiative du projet, lui demande d’intervenir sur l'architecture, mais aussi sur l'urbanisme et l'équipement des appartements. Pendant vingt ans, Charlotte Perriand coordonnera une équipe de talents multidisciplinaires.

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Station des Arcs 1600, vue des logements de l’extérieur. C’est Charlotte Perriand qui suggère des immeubles couchés installés en cascade sur la pente. Si les premiers plans de la station datent de 1962, Charlotte Perriand apporte son savoir-faire architectural en 1967, en fin de projet avec cette architecture léchée. Elle participe activement au projet des Arc 1800 puis à celui de la station Arc 2000. Souce : mggalerie

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Les Arcs 1600, vue de logements. L'architecture de la station a été labellisée en 2006 par le ministère de la Culture “Patrimoine du XXe siècle". Avec ses équipes, Charlotte Perriand voulut un site qui s’intègra dans l’environnement de la montagne pour le préserver. Source : lesarcs

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Les Arcs 1600, maquette du site. Source : mggalerie

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Station des Arcs, intérieur d'appartement, ameublement et disposition intérieure signée Charlotte Perriand. Ces appartements sont encore disponibles à la location. Source : alti-mag

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Station des Arcs, Appartement conçu par Charlotte Perriand. Source : alti-mag

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Paire de chaises « Les Arcs », vers 1960. Choisies par Charlotte Perriand pour l’aménagement de la station de sports d’hiver « Les Arcs 1600 ». Structure métallique tubulaire teintée noire et cuir tendu. Source : expertissim

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Charlotte Perriand, Table monte et baisse réalisée pour équiper les appartements des Arcs, vers 1960. Source : aguttes

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Charlotte Perriand, Table basse « Les Arcs », vers 1965. Modèle à plateau pentagonale en bois lamellé sur piétement à hauteur réglable, en acier noirci, à quatre jambes en patin. Source : baronribeyre

Plusieurs expositions ces dernières années ont mis en valeur les nombreux projets et travaux de Charlotte Perriand. Le Centre Pompidou lui a rendu hommage en 2005-2006, avec la première exposition monographique qui lui était entièrement consacrée depuis son décès en 1999. Si vous désirez en savoir plus, vous pouvez lire les différents ouvrages que lui a consacré l’historien Jacques Barsac qui est le mari de Pernette Perriand, la fille de Charlotte.

François Boutard

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