La chaise Rouge et Bleue par Gerrit Rietveld : quand une pièce de mobilier redéfinit la modernité

En 1918, Gerrit Rietveld conçoit une chaise qui fera date dans l’histoire du design : la chaise Rouge et BleueRed Blue Chair -.  À cette époque, sa structure apparente et dépouillée à l’extrême fait figure d’OVNI dans le monde du mobilier. La Red Blue Chair marque une étape singulière dans l’histoire du design, elle est considérée, à juste titre, comme une pièce iconique du mobilier design du XXe siècle et influencera des générations de designer. Aujourd’hui encore, elle continue de fasciner les plus grands créatifs. Elle doit évidemment beaucoup à son créateur Gerrit Thomas Rietveld  (1888-1964) designer, architecte et ébéniste néerlandais ;  un esprit avant-gardiste pour son époque. [caption id="attachment_5164" align="aligncenter" width="800"]Gerrit-Rietveld-Red-and-Blue-chair-1923 Gerrit Rietveld, Red Blue Chair[/caption] [caption id="attachment_5165" align="aligncenter" width="800"]Gerrit-Rietveld-Red-and-Blue-chair Gerrit Rietveld, Red Blue Chair[/caption] [caption id="attachment_5166" align="aligncenter" width="800"]Gerrit-Rietveld-RedandBlue-chair Gerrit Rietveld, Red Blue Chair[/caption] Gerrit Rietveld est pour ainsi dire « tombé dans la marmite quand il était petit ». Il entre ainsi à douze ans dans l’ébénisterie paternelle et crée son propre atelier de fabrication en 1910. Le soir, il suit des cours d’architecture dispensés par Piet Klaarhamer (1874-1954), un architecte qui sera impliqué dans la construction de quelques maisons à destination de la classe moyenne d’Utrecht ; ces réalisations figurant aujourd’hui  dans une  « zone de paysage urbain protégé ». En 1919, Gerrit Rietveld rejoint le mouvement d’avant-garde De Stijl (Le Style). Ce mouvement néo-plastique, fondé par Theo Van Doesburg aux Pays-Bas en 1917, théorisé par Piet Mondrian – on pense inévitablement à ce dernier avec l’emploi des couleurs primaires pour la Red Blue Chair - revendique une harmonie universelle dans l'intégration complète de tous les arts. En ce sens, la fameuse chaise imaginée par Rietveld est emblématique de ce mouvement. Reste que pour l’époque, l’étonnante assise conçue par le designer néerlandais intrigue et déstabilise les esthètes. On a du mal à lui trouver une origine, elle semble sortie de nulle part. En observant la chaise de Rietveld, on peut penser à une étonnante fusion entre une esthétique primitive venue d’Afrique Noire, et l’apparence des structures que pratiquent les ébénistes japonais. Les diagonales élémentaires de la chaise évoquent aussi les chaises longues du célèbre Transatlantique. Certains essaient de la rapprocher de pièces de mobilier plus familières comme la longiligne Hill House (création 1902) du designer écossais Charles Mackintosh ou encore de la chaise Robie de Frank Lloyd Wright (1908). [caption id="attachment_5084" align="aligncenter" width="796"]hill-house Charles Rennie Mackintosh, Chaise Hill House, 1902. Source : steeldomus.com[/caption] [caption id="attachment_5086" align="aligncenter" width="796"]chaise-robie Frank LLoyd Wright, Chaise Robie 1, 1908. Aujourd'hui éditée chez Cassina. Source : architonic.com[/caption] En 1918, la Red Blue Chair conçue à partir de 17 morceaux de bois, une économie de matériau rarement vue à l’époque, étonne donc la critique. Cette chaise qui ressemble à un fauteuil bouleverse le vocabulaire du mobilier comme celui de l’architecture. La conception du siège est réduite à ses plus simples éléments : une assise et une structure. Indéniablement, la chaise de Rietveld incarne la modernité même à l’époque. Des siècles d’ébénisterie sont balayés d’un coup au profit d’une géométrie radicale ! Rapidement, Gerrit Rietveld élimine les flancs d’origine pour laisser une structure apparente, le dossier et l’assise ne se touchent pas, ils sont fixés à des barreaux. Pendant 5 ans, la chaise dont la production reste artisanale est peinte en divers monochromes. Ce n’est qu’en 1923, qu’elle arbore ses couleurs primaires qui nous permettent aujourd’hui de l’identifier spontanément - Le rouge pour le dossier, le bleu pour l’assise, le noir pour les barreaux du piètement et des accoudoirs et le jaune pour souligner les extrémités des barreaux -. En recherche permanente, Rietveld poursuit ses expérimentations et conçoit par la suite une série de meubles qui emprunte au vocabulaire esthétique d’avant-garde de la Red Blue Chair et y intègrent son ADN. Ainsi, en 1923, Rietveld conçoit la chaise Militaire. Très proche de la chaise Rouge et Bleue, assise et dossier « flottent » dans l’espace. Puis il invente la chaise Berlin, à la forme géométrique très marquée qui s’accompagne d’une petite table. Quelques années plus tard, le designer travaille sur la technique du bois cintré et envisage la conception de la chaise Rouge et Bleue en utilisant une seule pièce, ce qu’il réussit à faire grâce à l’utilisation d’une feuille de contreplaqué moulée. L’assise comprend une seule plaque de bois qui repose sur une structure en tige de fer. Le fauteuil, dénommé Beugel  est présenté en 1928 à l'exposition d'architecture, peinture et sculpture " A.B.S. " au Stedelijk Museum of Modern Art d'Amsterdam.  Pour Rietveld, il s’agit d’un certain aboutissement, la synthèse de ses travaux sur le bois cintré. [caption id="attachment_5095" align="aligncenter" width="796"]chaise-militaire Chaise Militaire, 1923. Source : art-zoo.com[/caption] [caption id="attachment_5096" align="aligncenter" width="796"]chaise-Berlin Chaise Berlin, 1923. Source : art-zoo.com[/caption] [caption id="attachment_5097" align="aligncenter" width="796"]chaise-Beugel Fauteuil Beugel, 1927. Source : art-zoo.com[/caption] Si on évoque le chef d’œuvre avant-gardiste qu’est la chaise Rouge et Bleue, on ne peut éviter d’évoquer l’autre pièce iconique du designer batave réalisée entre 1932 et 1934 : la chaise Zig Zag. Une pièce unique, dépouillée à l’extrême, 4 pans formant le fameux Z. La Zig Zag est bien la digne héritière de la chaise Rouge et Bleue dans la recherche obsédée de Rietveld pour concevoir un meuble simple et fonctionnel. On peut même lui faire le reproche d’être rigoriste à l’extrême, le code couleur de la chaise Rouge et Bleue absent ;  une valeur protestante qui s’exprimerait inconsciemment dans le travail de Rietveld ? Peut-être…  Toujours est-il que la Zig Zag ne peut laisser indifférent, comme la crainte de voir l’assise s’effondrer comme un château de cartes aussitôt assis dessus ! Mais comme pour son illustre prédécesseur, la ligne étonne et détonne par sa légèreté son élégance, héritée des préceptes de De Stijl dans le choix des formes perpendiculaires. On y retrouve aussi une idée fondamentale héritée du manifeste artistique hollandais : le prolongement des lignes dans l’espace. La Red Blue Chair avec ses tasseaux qui forment des terminaisons nerveuses, la chaise Zig Zag avec ses lignes verticales, obliques et horizontales. [caption id="attachment_5098" align="aligncenter" width="796"]Chaise-Zig-Zag Chaise Zig Zag, 1932-1934. Source : koursi.com[/caption] [caption id="attachment_5099" align="aligncenter" width="796"]Chaise-ZigZag Source : Pinterest[/caption] La chaise Rouge et Bleue et la chaise Zig Zag sont toutes les 2 éditées aujourd’hui par Cassina, la grande maison milanaise qui réédite les grands classiques du design. Cassina a démarré la production industrielle de la chaise Rouge et Bleue en 1973. Pour respecter au mieux l’esprit du modèle et de son créateur, les employés de Cassina ont travaillé avec les artisans et collaborateurs de Gerrit Rietveld, décédé 9 ans auparavant. Ce n’est pas un hasard si Cassina fabrique la chaise Rouge et Bleue ; outre Rietveld, la société italienne possède dans son catalogue les œuvres de Charles Rennie Mackintosh, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Gaetano Pesce et plus proche de nous, celles de Philippe Starck et Konstantin Grcic. Consulter le catalogue Cassina, c’est se retrouver projeté dans un siècle de design ! La chaise Rouge et Bleue et la chaise Zig Zag de Gerrit Rietveld, l’homme qui selon ses propres dires souhaitait que ses assises sortent d’un seul bloc d’une machine, ont profondément marqué l’histoire du design. Mais qui sont ses successeurs ? Indubitablement, la chaise Zig Zag a directement inspiré le designer danois Verner Panton en 1960 lorsqu’il conçut sa célèbre chaise, la Panton Chair. Première chaise en plastique moulée d’une seule pièce, simplicité de la forme, élégance, tout concourt à retrouver l’esprit pionnier de Rietveld dans le siège réalisé par Verner Panton. [caption id="attachment_5100" align="aligncenter" width="796"]Chaise-Panton Chaise Panton par Verner Panton[/caption] Le designer contemporain et compatriote hollandais de Rietveld, Piet Hein Eek (1967- ), est un de ses dignes successeurs. Comme le grand maître, il recherche l’économie de matériau. Les lignes obliques de sa as-thick-as-wide-chair font curieusement penser à la Red Blue Chair. La jeune génération  se sent même parfois obligé de « tuer » l’image du père Rietveld, devenue trop encombrante. Le designer Maarten Baas (1978- ) brûle ainsi méthodiquement des pièces emblématiques du design historique dont la Red Blue Chair. Sa série Smoke est le point de départ d’un processus créatif singulier, qui consiste précisément à carboniser des pièces de design, puis à les enduire de résine pour les solidifier. La preuve « non fumeuse »  que l’héritage qu’a laissé Gerrit Rietveld est encore aujourd’hui très présent ! [caption id="attachment_5101" align="aligncenter" width="796"]Piet-hein-eek Piet Hein Eek, as-thick-as-wide-chair. Source : Pietheineek.nl[/caption] [caption id="attachment_5102" align="aligncenter" width="796"]Maarten-Baas-Smoke-Rietveld-REDBLUE Maarten Baas, Smoke Rietveld Redblue. Source : Pixelcreation.fr[/caption]

Ecrit par François Boutard

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