Le design brésilien : entre classicisme et inventivité

Le Brésil a produit depuis le début du XXe siècle un design ancré autour du bois exotique, une de ses plus grandes ressources naturelles. Ses pionniers ont appliqué une conception moderniste du design, héritée notamment du design européen et de l’Ecole du Bauhaus. Pour autant, le design brésilien ne se résume pas à la production de pièces en bois exotiques aux formes modernistes des années 50 et 60. Derrière la génération des Frères Campana qui ont les premiers cassé les codes traditionnels, une nouvelle génération conçoit des meubles créatifs et colorés à l’image du brassage ethnique du pays. Bien évidemment, on ne peut parler de design brésilien sans évoquer la figure emblématique de l’architecte et designer Oscar Niemeyer (1905-2012). Il est le « père » du projet architectural de la nouvelle capitale du pays, Brasilia, édifiée à la fin des années 50 et durant les années 60. Disciple de Le Corbusier, Niemeyer a construit parmi les bâtiments les plus incroyables de Brasilia.

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Le Palais de l’Aurore (en portugais, Palácio da Alvorada) construit en 1957-1958. Architecte : Oscar Niemeyer. Il abrite la résidence du président de la République fédérative du Brésil.

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Hall d’entrée du Palais de l’Aurore. À l’intérieur, Niemeyer a utilisé des matériaux contemporains comme le béton, le métal et le verre.

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Intérieur du Palais de l’Aurore. L’aménagement intérieur voulu par Niemeyer fait la part belle à la transparence et à la fluidité des espaces. Un esprit qui n’est pas sans rappeler le Pavillon de Barcelone conçu par l’architecte Ludwig Mies van der Rohe en 1929. Ce dernier dirigea le Bauhaus de 1930 à 1933, une filiation évidente pour Oscar Niemeyer.

Parmi les pionniers du design au Brésil, il convient de citer trois figures européennes qui ont émigré au Brésil dans la première partie du XXe siècle. Tout d’abord, Joaquim Tenreiro (1906-1992) venu du Portugal au Brésil vers la fin des années 20. Menuisier de formation, il crée son entreprise, Langenbach et Tenreiro Ltda, pour produire ses propres meubles. Ses créations sont les héritières du style Bauhaus. Il utilise le bois de Jacaranda, le bois noble exotique par excellence du Brésil, ainsi que la tradition du cannage.

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Mobilier réalisé par Joaquim Tenreiro exposé à l’occasion de l’exposition Joaquim Tenreiro Live, galerie R 20th Century à New-York (2018). Des lignes modernes et élégantes.

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Table signée Joaquim Tenreiro, exposition Joaquim Tenreiro Live, galerie R 20th Century  (New-York, 2018).

Autre précurseur : Gregori Warchavchic (1896-1972). Architecte d’origine ukrainienne, Warchavchic débarque au Brésil en 1923. Il a produit parmi les pièces les plus connues du design brésilien, comme sa table roulante ou son fameux porte-revues Leque.

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Porte-revue « Leque ». Design Gregori Warchavchic, 1928. Le mobilier de Warchavchiv est distribué par l’éditeur de mobilier historique brésilien Etel.

Enfin, Lina Bo Bardi (1914-1982), architecte romaine collaboratrice de Gio Ponti arrivée au Brésil en 1946. Elle va marquer de son empreinte la ville de São Paulo en y réalisant des édifices fameux comme la Casa de Vidro (la maison de verre), le Musée d’Art (MASP), le Centre social SESC Pompéia ou encore le Teatro Oficina.

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La Casa de Vidro, (1951), de Lina Bo Bardi et Pietro Maria Bardi. Le lieu est aujourd’hui devenu une maison-musée gérée par l’Instituto Bardi. Pietro Maria Bardi, le mari de Lina, fut pendant 51 ans le conservateur du Musée d’Art de São Paulo.

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Le centre culturel SESC Pompeia surnommé « La citadelle du loisir », réalisée à São Paulo par Lina Bo Bardi de 1977 à 1986. Le lieu était une ancienne usine de barils. Un contraste singulier avec la Casa Vidro pour exploiter une architecture en béton.

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L’extraordinaire architecture du SESC Pompeia.

En plein essor industriel dans les années 50 et 60, le design est en plein boom au Brésil et les premières aciéries se développent. L’époque est toujours au style moderniste et rationaliste. Une autre génération de designers, née dans les années 20, déboule alors. Figure de proue de cette génération, le designer Sergio Rodrigues (1927) est considéré comme l’un des pères du mobilier moderne au Brésil. Il triomphe sur la scène internationale en 1961 avec son fauteuil en bois massif Mole. D’un an plus jeune, Paulo Mendes Da Rocha (1928), architecte et designer, privilégie les formes et l’emploi de matériaux simples. On lui doit la réalisation de nombreux bâtiments à São Paulo. Michel Arnoult (1922-2005), parisien arrivé au Brésil en 1950, devient le « pape » du meuble en kit, version brésilienne… Son projet : permettre à la classe moyenne brésilienne de s’offrir de beaux meubles à prix abordables.

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Fauteuil Mole, design Sergio Rodrigues, 1957. L’assise, très confortable, est soutenue par des bretelles réglables en cuir. Le cadre est en bois de Jacaranda.

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Le Fauteuil Diz, design Sergio Rodrigues, 2002. Une autre icône du design brésilien réalisée à 75 ans par le maître du bois brésilien.

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Fauteuil Diz, vue de derrière. Le fauteuil est réalisé en bois de hêtre ou en imbuia (noyer brésilien).

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Une réalisation emblématique de Paulo Mendes da Rocha : le Club athlétique Paulistano, São Paulo, 1958. Pour ce projet, l’architecte créa un classique du mobilier brésilien : le fauteuil Paulistano.

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Club athlétique Paulistano , São Paulo, Mendes da Rocha, 1958 - © José Moscardi. Une structure monumentale avec son disque en béton armé qui confère pour autant au bâtiment une certaine légèreté.

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Rocking-chair Peglev, design Michel Arnoult, 1968. Une allure élégante et intemporelle. Le Peglev signifie « Je prends et j'emporte ». Défendant un design pour tous, la pièce se démonte et se transporte facilement.

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Michel Arnoult, Fauteuil Pelicano, 2003. Le designer propose une structure simple, permettant une production en série à un coût raisonnable et une facilité de montage et d’entretien.

Consacrés créateurs de l’année au Salon Maison et Objet de 2012, le duo des Frères Campana (Humberto 1953, Fernando 1961) révèle au monde une autre facette du design brésilien. Ils revendiquent un design inventif et joyeux, où l’on retrouve l’art de la débrouille des favelas. À l’opposé du modernisme de leurs prédécesseurs.

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Fauteuil Vermelha, design Frères Campana, 1998 pour l’éditeur Edra. Une assise étonnante créée à partir de 500 M de corde nautique sur une structure d’acier inoxydable.

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La Sushi Chair des Frères Campana, 2002. Où l’art du recyclage… L’assise est constituée de morceaux de tapis, caoutchouc, pvc, tissu...

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Dos du Fauteuil Sushi, détail. Design Frères Campana.

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Fernando et Umberto Campana, Banquete Chair, 2002. Une grande créativité et un design osé pour cet assemblage de peluches multicolores qui sert d’assise confortable ! Les Frères Campana se situent souvent à la limite du kitsch.

Dans le sillage des Frères Campana, d’autres designers brésiliens émergent pour proposer un design plus créatif et métissé à l’image de leur pays. Rafik Farah (1958), diplômé de la Faculté d'Architecture et d'Urbanisme de São Paulo, est un touche-à- tout. À la fois créateur de mobilier, scénariste, photographe et designer graphique, il se fait remarquer en 1989 avec sa table basse Kaeko.

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Table basse Kaeko, design Rafik Farah, 1989, pour l’éditeur Objekto. Une forme sinusoïdale originale et délicate surmontée d’un plateau en verre trempé 10 mm font de cette table une pièce esthétiquement très réussie.

Née également en 1958, Lia Siqueira est une architecte et designeuse confirmée, lauréate de nombreux concours et dirige depuis 1987 à Rio de Janeiro l’agence d’architecture Azul Arquitetura et Design. En 2010, elle surprend avec sa bibliothèque Volpi. En bois pour respecter la tradition brésilienne, mais avec des formes surprenantes.

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Bibliothèque Volpi, Lia Siqueira, 2010. Un design sophistiqué qui fait d’une collection de livres une véritable composition graphique.

Rodrigo Almeida a pour ADN l’extraordinaire métissage culturel de son pays. Né en 1975, il puise son inspiration aux racines multiethniques de la nation brésilienne et comme les Campana, crée des objets inédits, détournés de leur vocation première.

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Africa chair, design Rodrigo Almeida, 2009. Pour cette chaise Rodrigo Ameida est allé puiser son inspiration dans les cultures afro et indigène.

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Chaises réalisées par Rodrigo Almeida, dans la droite ligne de l’art de la récupération des Frères Campana avec une touche de métissage haute en couleur.

Enfin, Brunno Jahara (1979) est peut-être le plus doué de sa génération. Né à Rio de Janeiro, il a travaillé sous la direction du designer espagnol Jaime Hayon. Attaché à la culture de son pays, il s’emploie à mettre en avant les ressources naturelles du Brésil avec une touche très tropicale…

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Collection de meubles Neorustica conçue par Brunno Jahara. Buffet Babilonia (2010).

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Vaisselle, collection Batucada. Design Brunno Jahara. Le terme Batucada fait référence au son de percussion obtenu par les habitants des favelas lorsqu’ils jouent sur des instruments faits de pots en étain et en aluminium. Une référence à la culture populaire brésilienne et à l’art de la récupération.

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Brunno Jahara, série Multiplastica Domestica. Des objets multicolores constitués à partir de bouteilles en plastique et autres emballages ménagers.

La relève du design brésilien est assurée dans un pays qui possède une véritable culture design. Le design brésilien s’est progressivement émancipé d’un passé attaché aux canons esthétiques du modernisme européen, pour acquérir une identité singulière, reflet du métissage ethnique et de l’art de vivre à la brésilienne.

François Boutard.

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