Il y a un plus d’1 an réouvrait le Grand magasin La Samaritaine. Fermée depuis 2005, l’enseigne parisienne historique renaît après de longs travaux menés par la direction des Monuments Historiques pour restaurer les bâtiments Art nouveau et Art déco qui composent un ensemble architectural exceptionnel. Au début du XXe siècle et pendant les Années Folles, une clientèle bourgeoise venait trouver dans les grands magasins les dernières tendances en matière de mode, puis progressivement d’ameublement. Cet article revient sur les lieux et les manifestations qui ont contribué à diffuser l’Art déco, et dont les grands magasins firent partie.
Paris, 1910. L’art nouveau qui triomphe depuis la fin du XIXe siècle vit ses dernières heures. L’art déco, abréviation de « Arts décoratifs » lui succède, amenant un langage esthétique moins ampoulé. Aux arabesques et ornementations inspirées des formes du vivant, succède un style architectural et design beaucoup plus sobre, avec des lignes géométriques qui imposent un retour à la rigueur classique. Pour autant, le décorateur jouit toujours d’une certaine liberté, et conçoit un mobilier à base de matériaux luxueux et exotique. La forme change et devient plus sobre, mais la finalité reste décorative.
Pour promouvoir et diffuser la qualité de l’artisanat français élevé au rang d’art (tapisserie, ébénisterie, orfèvrerie, céramique, verrerie, ferronnerie, etc.), et revendiquer le statut d'artiste pour le décorateur, un petit groupe d’architectes et d’artistes fonde en 1901 la Société des Artistes Décorateurs. Désormais, les artistes décoratifs ont les mêmes droits d’auteur que les peintres et les sculpteurs.
En 1904, ils créent le Salon des Artistes Décorateurs (SAD), qui va jouer un rôle important dans l’expression et la diffusion de l’Art déco en France. En effet, le SAD est une des premières manifestations professionnelles annuelles qui présente des meubles et des ensembles mis en scène par les décorateurs français. Le salon devient rapidement la référence dans le domaine de l’ameublement. Les places sont chères pour exposer son travail au salon : un jury sans pitié délibère.
Outre le Salon des Artistes Décorateurs, les Grands Magasins parisiens deviennent une véritable vitrine du savoir-faire artisanal français en matière d’ameublement et participent à l’essor de la l’Art déco. Au début du XXe siècle, plusieurs grands patrons font construire dans le style Art nouveau, puis Art déco, de gigantesques magasins qui deviennent des temples de la consommation moderne. Leur coup de génie : inventer avant l’heure le marketing expérientiel. On leur doit par exemple les premières cabines d’essayage, les catalogues illustrés, ou encore le salon de lecture pour que les maris puissent s’occuper pendant que leurs femmes font du shopping.
La formule marche et progressivement les patrons de ces grands magasins vont avoir une autre idée brillante : associer au commerce des œuvres d’art et des meubles luxueux pour créer une ambiance raffinée. Dès 1880, le grand magasin Le Bon Marché propose à sa clientèle des pièces de mobilier (rideaux et sièges) qu’il fait fabriquer et qu’il expose dans la galerie de l'ameublement située dans l'annexe du grand magasin. En 1923, Le Bon Marché confie à l’ébéniste et décorateur français Paul Follot la direction de « Pomone », l’atelier d’art du grand magasin. Le Bon Marché propose à sa clientèle toutes les créations issues des arts appliqués et s’inspire très largement, pour la création de ses pièces, des grands décorateurs Art déco de l’époque comme Jacques-Emile Ruhlmann, Jules Leleu, Louis Süe, Maurice Dufrène, etc. Les grands magasins deviennent un lieu de diffusion de l’Art déco, en phase avec les attentes modernes du nouveau consommateur.
À l’image du Bon Marché, Les Galeries Lafayette Hausmann ouvrent aussi en 1922 leurs propres ateliers d’arts appliqués sous le nom de « La Maîtrise ». L’architecte d'intérieur et chef décorateur Maurice Dufrène en prend la direction artistique. Parmi les collaborateurs de La Maîtrise, citons les décorateurs Jean et Jacques Adnet. Jean Adnet est un membre actif de la Société des Artistes Décorateurs et devient un spécialiste renommé de l’art de l’étalage.
René Guilleré, fondateur de la Société des Artistes Décorateurs, fait figure de précurseur dans l’installation d’ateliers d’arts au sein des grands magasins. En 1912, il est en effet le 1er à convaincre les grands magasins du Printemps de produire leurs propres pièces de mobilier et d’objets d’art. Ainsi naît La Primavera, l’atelier d’art du grand magasin fondé par Jules Jaluzot et Augustine Figeac. L’influence des grands magasins sur la mode et l’ameublement est telle, que les ateliers d’art du Printemps, des Galeries Lafayette et du Bon Marché, ainsi que celui des magasins du Louvre, se voient attribuer pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, chacun l’édification d’un pavillon, au cœur de la section française.
L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes marque l’apogée du style Art déco. L’événement eut un retentissement international et joua un rôle incontestable dans la diffusion planétaire de l’Art déco français. Les architectes et les artistes français deviennent très demandés dans la décennie suivante pour travailler sur de nombreux projets ambitieux. En 1935, le paquebot Le Normandie part du Havre pour rallier New-York. À bord, le « must » du savoir-faire français Art déco. L’aménagement intérieur est supervisé par les architectes et décorateurs Richard Bouwens de Boijen, Roger Henri-Expert, Pierre Patout et Henri Pacon, qui réunissent autour d’eux les meilleurs artisans d’art français de l’époque.