Comment résumer en quelques lignes l’impressionnante carrière d’un géant de l’architecture moderne du XXème siècle ? Pendant 6 décennies, l’architecte allemand naturalisé américain Ludwig Mies van der Rohe n’aura cessé d’imaginer, concevoir et édifier des bâtiments à l’allure incroyable, en phase avec les progrès industriels et technologiques des époques traversées. Ludwig Mies van der Rohe est l’une des figures les plus importantes de l’architecture du XXe siècle en Europe et aux États-Unis. Dans un 1er temps, je vous propose d’évoquer les grandes dates de sa carrière, avant de revenir sur ses projets architecturaux les plus influents.
Ludwig Mies van der Rohe (1886-1967) est né en 1886 à Aix-la-Chapelle (Allemagne). Fils d’un tailleur de pierre, il travaille dans l’entreprise familiale. Très vite, il dessine pour des cabinets d’architecture dont celui de Peter Behrens (1908-1912), pionnier du design industriel en Allemagne. En 1912, il crée son propre cabinet d’architecture.
Chez Behrens, Mies van der Rohe rencontre notamment Le Corbusier et Walter Gropius, 2 grandes figures qui renouvellent alors la conception traditionnelle de l’architecture. À l’époque, l’Allemagne est l’épicentre d’une nouvelle culture architecturale, ses architectes, théoriciens et penseurs font partie du Deutscher Werkbund, la plus grande organisation culturelle allemande de l’avant-guerre. Mies van der Rohe y adhère avec une nouvelle génération d’architectes allemands (Gropius, Bruno Taut, entre autres).
À l’avant-garde du renouveau architectural théorisé et enseigné à l’Ecole du Bauhaus, lui-même traversé par des mouvements radicaux (De Stijl, constructivisme russe), Mies van der Rohe pose les fondements de son style architectural dans les années 1920 en imaginant 5 projets qui ne seront jamais réalisés, mais dont la radicalité marque l’époque. Il met en application ses idées avec la réalisation du pavillon allemand lors de l’exposition internationale de 1929 à Barcelone. L’œuvre connait un retentissement mondial et Mies devient le chef de file du courant moderniste.
De 1930 à 1933, Mies van der Rohe dirige l'école des arts du Bauhaus, à Dessau puis à Berlin. Avec l’arrivée du parti nazi au pouvoir, l’école ferme et l’architecte émigre aux États-Unis pour y réaliser une seconde partie de carrière impressionnante. Jusqu’à sa mort en 1967, Mies van der Rohe va signer une série de projets qui redéfinissent l’architecture urbaine américaine. Il image et conçoit de grands buildings d’acier et de verre, épanouissement de l’architecture moderne désormais assimilée au style international.
Sur une carrière riche d’une soixantaine d’années, j’ai sélectionné 3 œuvres représentatives de la modernité architecturale insufflée par Mies van der Rohe. La 1ère est le pavillon allemand pour l’exposition universelle de Barcelone. Il met en pratique 2 concepts. D’abord, le plan libre : les murs ne sont plus porteurs, ils deviennent des cloisons qui délimitent un espace désormais « ouvert » à toutes sortes de configurations. Ensuite, la fluidité de l’espace : des façades en verre font que l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent pour mieux se confondre. Ludwig Mies van der Rohe conçoit un bâtiment totalement transparent dans lequel le visiteur passe de l’espace urbain à la nature avec une grande facilité, transcendée par l’harmonie des lieux.
Le toit plat de la structure concourt à la pureté des lignes qui font de l’édifice un joyau de l’architecture moderne. Détruit après l’exposition, le bâtiment rencontre un tel succès que des architectes catalans l’ont reconstruit (1983-1988). Au niveau de l’aménagement intérieur, l’architecte a utilisé des matériaux luxueux, comme le marbre, le travertin ou encore l'onyx. Avec sa compagne et collaboratrice Lilly Reich, ils conçoivent la très élégante chauffeuse Barcelona, devenue un « must-have » du design du XXème siècle, et dont le piétement en acier chromé poli en forme de X rappelle la forme d’un siège curule de la Rome antique. Avec le pavillon allemand, Mies van der Rohe atteint un idéal architectural moderne : une symétrie parfaite, des espaces diaphanes et ouverts et un minimalisme de rigueur.
Le second édifice que j’ai sélectionné projette Mies dans l’architecture verticale d’après-guerre des gratte-ciel. En 1948, pour le compte du promoteur immobilier Herbert Greenwald, il dessine les tours 860 et 800, 2 buildings d'appartements en acier et en verre située sur la portion nord de Lake Shore Drive, autoroute longeant la rive du lac Michigan à Chicago. Les tours sont le symbole de l’approche minimaliste de l’architecte : elles sont couvertes de murs-rideau, une des marques de fabrique de l’architecte, et surtout sont débarrassées de toute ornementation. Ces 2 tours incarneront pour l’époque et des années après le style international d’après-guerre.
3ème projet remarquable : la conception de la Neue Nationalgalerie (« nouvelle galerie nationale ») de Berlin. Mies van der Roh est sollicité en 1962 pour réaliser un bâtiment devant abriter les collections d'art moderne du XXe. Achevé en 1968, après la mort de l’architecte, le bâtiment embrasse le souci à long terme de son initiateur pour créer des espaces fluides et ouverts. Mies conçoit un véritable temple en verre de 2.300 m2 surprenant, puisque vide. Il est surmonté d’un grand toit à caissons en acier noir qui le déborde en porte-à-faux. Comme pour de nombreuses réalisations de l’architecte, la structure repose intégralement sur 8 pylônes. Le socle abrite en sous-sol les salles d’expositions et les bureaux. Côté ouest, de nouveau une grande paroi vitrée dessert un jardin minéral.
La beauté radicale du bâtiment, son minimalisme et l’impression de légèreté qui en émane ont fait de la Neue National galerie un des grands chefs-d’œuvre de l’architecture moderne. Géant de l’architecture du XXème siècle avec Gropius et le Corbusier, Ludwig Mies van der Rohe avait coutume de dire que son architecture était de « peau sur des os », la peau étant le verre, les os la structure d'acier. Il inventa l’expression « Less is More », non pas pour signifier que la simplicité était ce qu’il y avait de mieux, mais pour désigner la poursuite d’une certaine perfection, car débarrassée de tout superflu, ce qui est tout sauf simple !
François BOUTARD