L’art du vitrail, une histoire française

Si je vous dis Jacques Gruber, Louis Barillet, Jean Gaudin, ou encore l’Atelier Champigneulle ? Ces noms ne vous sont sans doute pas très familiers, et pourtant ils incarnent en France le renouveau de l’art du vitrail. Fait exceptionnel, la France est le pays avec la plus grande surface de vitraux dans le monde. Cet article vous propose de revenir sur une tradition artisanale élevée au rang d’art : de la renaissance du vitrail comme un art vivant vers la fin du XVIIIe siècle-début XIXe, au vitrail contemporain qui associe maîtres verriers et artistes/designers contemporains...

Vitrail Art déco réalisé par Louis Barillet pour Les "établissements balnéaires d'Auteuil" édifiés en 1929 par l'architecte Lucien Pollet dans un style paquebot.

Composition en verre formée avec des pièces de verre assemblées par des baguettes de plomb, le vitrail fait son apparition au Moyen-Âge comme une technique au service de l’embellissement des édifices religieux. Malheureusement, de nombreux vitraux moyenâgeux sont détruits pendant le Siècle des Lumières, puis la période révolutionnaire. C’est avec le grand architecte Eugène Viollet-le-Duc et le mouvement romantique, vers la moitié du XVIIIe siècle, que le vitrail retrouve des couleurs, avant de redevenir très populaire au tournant du XXe siècle, sous l’impulsion de l’Art nouveau.

Cathédrale Notre-Dame de Paris, vitraux. On doit au grand architecte et restaurateur Viollet-le-Duc la restauration de la plupart des vitraux des chapelles de la « Vieille Dame ».

Vitraux de la Galerie des prophètes, dans le bras sud du transept de la Cathédrale Notre-Dame, Création de l'atelier Alfred Gérente, XIXe siècle.

En effet, le mouvement Art nouveau redonne ses lettres de noblesse au vitrail. Et on revient de loin : pensez, par exemple, qu’avant la Révolution, il ne restait plus que 4 peintres-verriers à Paris !!! L’époque est aux motifs floraux ou d’inspiration symboliste. Ce qui change ? Le vitrail n’est plus cantonné aux seules églises et cathédrales de lumière : il fait irruption dans les grands-magasins, les banques, les restaurants ou encore les bureaux d'industriels. On substitue au terme de vitrail le nom de verrière.

Vitrail « Roses Dans Un Décor Art Nouveau / Art Déco », exécuté au début XXe siècle. Vitrail réalisé avec des verres de différentes couleurs et textures.

Vitrail « Roses Dans Un Décor Art Nouveau / Art Déco », exécuté au début XXe siècle, détail.

Vitrail « Roses Dans Un Décor Art Nouveau / Art Déco », exécuté au début XXe siècle, détail.

Les artisans de ce renouveau ont pour nom Louis Majorelle, Emile Gallé, Eugène Grasset, Louis Comfort Tiffany, Jacques Gruber, Louis Barillet... Les premiers cités sont connus, représentants de l’École de Nancy, ils incarnent l’excellence du geste technique des grands maîtres verriers. N’oublions pas que la Lorraine est la terre historique de l’art verrier en France : Baccarat, Daum, Saint-Louis, ...

Verrière Art nouveau du hall de la banque Crédit Lyonnais à Nancy, réalisation : Jacques Gruber (1870-1936). Considérée comme un des chefs d’œuvre de ce maître verrier, ébéniste et décorateur

Vitrail « La lecture » du designer et peintre sur porcelaine Henri Bergé (1870-1937), Musée de l’École de Nancy. Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Nancy, Henri Bergé prit la suite de Jacques Gruber en tant que chef décorateur de la cristallerie Daum.

3 vitraux pour l'Eglise Notre Dame des eaux à Aix les bains. Les vitraux sont composés par Eugène Grasset et réalisés par le maître verrier lyonnais Lucien Bégule, 1894.

3 vitraux pour l'Eglise Notre Dame des eaux à Aix les bains, vitrail central, composition Eugène Grasset, réalisation Lucien Bégule, 1894.

3 vitraux pour l'Eglise Notre Dame des eaux à Aix les bains, vitrail de droite, composition Eugène Grasset, réalisation Lucien Bégule, 1894.

Vitraux de l’Eglise Saint-Médard de Grandpré (Ardennes).

Un des vitraux de l'église Saint-Pierre de Bouvines, dessinés par Pierre Fritel ( 1853-1942 ), et réalisés à partir de 1889 par le maître verrier Emmanuel-Marie-Joseph Champigneulle (1860- 1942).

Photographie d’époque de la Famille Champigneulle. Les Champigneulle sont une lignée de peintres et maîtres verriers réputés en Lorraine. Installés à Metz, puis à Bar-le-Duc, et enfin à Paris (Ateliers Champigneulle, succursale parisienne de l'entreprise de peinture sur verre familiale).

La technique du vitrail connaît pendant la période de l'entre-deux-guerres des évolutions majeures. Jules Albertini, verrier à Montigny-lès-Cormeilles (Val-d’Oise), travaille à l’élaboration des premières dalles de verre avec le mosaïste Jean Gaudin. Le vitrail s’éclaircit et laisse s’épanouir des tons plus monochromes. Le maître verrier et mosaïste français Auguste Labouret invente et dépose en 1933 un nouveau procédé : le vitrail en dalle de verre cloisonné en ciment. Aux arabesques florales de l’Art

nouveau qui illuminaient les vitraux, succèdent les compositions géométriques et plus abstraites de l’Art déco, dont Louis Barillet est un illustre représentant. Dans les années 1920, avec Jacques Le Chevallier et Théo Hansen, il renouvelle le langage esthétique du vitrail.

Vitrail « Scènes de la Vie de la Vierge » par Jean Gaudin dans la Chapelle axiale Notre-Dame-Drapière de la Cathédrale d’Amiens, 1933.

Vitrail de Jean Gaudin dans la Chapelle du Sacré Cœur, Cathédrale d’Amiens, 1933.

Vitrail réalisé par Louis Barillet, Chapelle du Souvenir de Flers, 1928. Edifice classé Monument Historique en 2006 pour ses façades, les décors, vitraux et fresques

Portes à double battants en vitrail à décor géométrique dans les tons de violet, vert, gris, blanc et noir. Réalisation Louis Barillet, vers 1930.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux édifices religieux bombardés doivent être reconstruits : la restauration et la rénovation des vitraux endommagés devient une priorité pour l’Église, soucieuse d’entretenir son patrimoine historique. À cette donnée s’ajoute un changement de doctrine. Le Pape Jean XXIII convoque en 1962 le Concile Vatican II. Il souhaite modifier le rapport des croyants à la religion. Par conséquent, l’architecture intérieure des églises évolue : le vitrail devient un élément qui contribue à la spiritualité. Avec des couleurs puissantes et de grandes surfaces, il devient un champ d’expérimentation.

Intérieur de la Chapelle de Ronchamp en Haute-Saône, architecture et aménagement intérieur : Le Corbusier. Inaugurée en 1955, la Chapelle de Ronchamp est l’exemple type de la modernisation architecturale des églises. Le vitrail devient un élément important.

Détail d’un vitrail de la Chapelle de Ronchamp peint par Le Corbusier.

Détail d’un vitrail de l’Eglise Notre-Dame-de-Toute-Grâce (Haute-Savoie). Pour la 1ère fois, l’église commandes des vitraux à des artistes non chrétiens. L’édifice est classé au titre des Monuments Historiques.

Vitrail peint par l’artiste Jean Bazaine, « Saint Grégoire et le chant grégorien », Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce. Symbole de l’entrée de l’église dans la modernité architecturale, les plus grands artistes de l’époque sont venus signer vitraux, peintures, sculptures, tapisserie, etc.

Vitrail peint par l’artiste Jean Bazaine, « David, le roi musicien », Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce.

Vitrail peint par l’artiste Jean Bazaine, « Sainte Cécile, patronne des musiciens ».

L’Église catholique ouvre donc ses églises à la modernité, elle n’hésite plus à commander des vitraux à des artistes non chrétiens. La puissance publique de l’époque s’en mêle aussi. Et c’est ainsi que Robert-Charles Renard, Architecte en Chef des Monuments Historiques (1946-1974), propose aux peintres Georges Braque et Fernand Léger d’intervenir sur la conception de nouveaux vitraux pour la Cathédrale Saint-Etienne de Metz, surnommée la « lanterne de Dieu » (6.500 m2 de surface vitrée). Les 2 refusent, mais Renard convainc les peintres Jacques Villon (le frère de Marcel Duchamp), Marc Chagall et Roger Bissière de dessiner et créer des verrières. Certains considèrent que ces interventions sont une 1ère dans l’histoire du vitrail, puisqu’il s’agit de la 1ère commande de vitraux d’avant-garde pour un Monument historique.

3 des 5 vitraux dont Jacques Villon réalise le cartonnage vers la fin des années 1950, pour la Chapelle du Saint-Sacrement de la Cathédrale Saint-Etienne de Metz.

Détail du vitrail « La dernière cène » dont le cartonnage a été réalisé par Jacques Villon (1875-1963, de son vrai nom Gaston Émile Duchamp), pour la Chapelle du Saint-Sacrement de la Cathédrale Saint-Etienne de Metz.

Série de vitraux de Marc Chagall pour la Cathédrale Saint-Etienne de Metz, "Lancette de la baie n°11", 1962. Chagall déploie des couleurs vives incroyables, ses personnages bibliques se rapprochent de l’abstrait, ce qui est peu commun pour les églises romanes ou gothiques.

Détail d’un vitrail dessiné par Marc Chagall pour la Cathédrale Saint-Etienne de Metz. L’artiste aura travaillé près d’une décennie (1958-1968) pour la cathédrale.

Verrière du tympan sud, Cathédrale Saint-Etienne de Metz, conception René Bissière, 1960. René Bissière, peintre de la Nouvelle École de Paris, réalise les 2 verrières majestueuses des tympans nord et sud de la cathédrale. Bissière est clairement un artiste non-figuratif. Certains experts estiment qu’il s’agit de la 1ère œuvre non figurative installée dans une cathédrale en France.

À la suite de l’exemple de la cathédrale de Metz qui fait rentrer l’art contemporain dans un lieu sacré, l’État commande pour la cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte à Nevers, la restitution des vitraux qui avaient été endommagés par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les choix se portent sur des artistes contemporains qui travaillent en général en tandem avec un peintre verrier. Parmi les artistes choisis : Raoul Ubac, Jean-Michel Alberola, Claude Viallat, François Rouan, Gottfried Honneger, ... Ces choix tournent définitivement le dos au passé : l’abstraction remplace le figuratif...

Vitraux des fenêtres du chœur roman, cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers, réalisés par le photographe, peintre, graveur et sculpteur Raoul Ubac, avec les maîtres verriers Charles Marq et Atelier Simon, de 1978 à 1983.

Fenêtres basses de la nef, cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers, François Rouan avec les Maîtres verriers Benoît Marc et Atelier Simon.

Loin d’être perçu comme une pratique artistique désuète, l’art du vitrail continue de fasciner les artistes contemporains qui travaillent de concert avec des ateliers spécialisés, comme c’est le cas des créateurs qui signent des modèles pour de grandes cristalleries. Citons par exemple les collaborations artistiques entre la Verrerie de Saint-Just (Loire) et les designers Peter Marino et Philippe Starck ou celles entre les Ateliers Duchemin et les artistes contemporains Anne et Patrick Poirier, Carole Benzaken, Robert Morris ou Sarkis...

Les magnifiques tulipes de l’artiste Carole Benzaken pour l'église Saint Sulpice de Varennes-Jarcy (Essonne).

Les magnifiques tulipes de l’artiste Carole Benzaken pour l'église Saint Sulpice de Varennes-Jarcy (Essonne).

Pour le Prieuré de Saint-Jean-du-Grais à Azay-sur-Cher, l’artiste Sarkis a réalisé 39 vitraux monochromes aux couleurs exceptionnelles pour filtrer la lumière !

Prieuré de Saint-Jean-du-Grais à Azay-sur-Cher, vitraux monochromes de Sarkis

Prieuré de Saint-Jean-du-Grais à Azay-sur-Cher, vitraux monochromes de Sarkis

François Boutard

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