Si je vous dis Jacques Gruber, Louis Barillet, Jean Gaudin, ou encore l’Atelier Champigneulle ? Ces noms ne vous sont sans doute pas très familiers, et pourtant ils incarnent en France le renouveau de l’art du vitrail. Fait exceptionnel, la France est le pays avec la plus grande surface de vitraux dans le monde. Cet article vous propose de revenir sur une tradition artisanale élevée au rang d’art : de la renaissance du vitrail comme un art vivant vers la fin du XVIIIe siècle-début XIXe, au vitrail contemporain qui associe maîtres verriers et artistes/designers contemporains...
Composition en verre formée avec des pièces de verre assemblées par des baguettes de plomb, le vitrail fait son apparition au Moyen-Âge comme une technique au service de l’embellissement des édifices religieux. Malheureusement, de nombreux vitraux moyenâgeux sont détruits pendant le Siècle des Lumières, puis la période révolutionnaire. C’est avec le grand architecte Eugène Viollet-le-Duc et le mouvement romantique, vers la moitié du XVIIIe siècle, que le vitrail retrouve des couleurs, avant de redevenir très populaire au tournant du XXe siècle, sous l’impulsion de l’Art nouveau.
En effet, le mouvement Art nouveau redonne ses lettres de noblesse au vitrail. Et on revient de loin : pensez, par exemple, qu’avant la Révolution, il ne restait plus que 4 peintres-verriers à Paris !!! L’époque est aux motifs floraux ou d’inspiration symboliste. Ce qui change ? Le vitrail n’est plus cantonné aux seules églises et cathédrales de lumière : il fait irruption dans les grands-magasins, les banques, les restaurants ou encore les bureaux d'industriels. On substitue au terme de vitrail le nom de verrière.
Les artisans de ce renouveau ont pour nom Louis Majorelle, Emile Gallé, Eugène Grasset, Louis Comfort Tiffany, Jacques Gruber, Louis Barillet... Les premiers cités sont connus, représentants de l’École de Nancy, ils incarnent l’excellence du geste technique des grands maîtres verriers. N’oublions pas que la Lorraine est la terre historique de l’art verrier en France : Baccarat, Daum, Saint-Louis, ...
La technique du vitrail connaît pendant la période de l'entre-deux-guerres des évolutions majeures. Jules Albertini, verrier à Montigny-lès-Cormeilles (Val-d’Oise), travaille à l’élaboration des premières dalles de verre avec le mosaïste Jean Gaudin. Le vitrail s’éclaircit et laisse s’épanouir des tons plus monochromes. Le maître verrier et mosaïste français Auguste Labouret invente et dépose en 1933 un nouveau procédé : le vitrail en dalle de verre cloisonné en ciment. Aux arabesques florales de l’Art
nouveau qui illuminaient les vitraux, succèdent les compositions géométriques et plus abstraites de l’Art déco, dont Louis Barillet est un illustre représentant. Dans les années 1920, avec Jacques Le Chevallier et Théo Hansen, il renouvelle le langage esthétique du vitrail.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux édifices religieux bombardés doivent être reconstruits : la restauration et la rénovation des vitraux endommagés devient une priorité pour l’Église, soucieuse d’entretenir son patrimoine historique. À cette donnée s’ajoute un changement de doctrine. Le Pape Jean XXIII convoque en 1962 le Concile Vatican II. Il souhaite modifier le rapport des croyants à la religion. Par conséquent, l’architecture intérieure des églises évolue : le vitrail devient un élément qui contribue à la spiritualité. Avec des couleurs puissantes et de grandes surfaces, il devient un champ d’expérimentation.
L’Église catholique ouvre donc ses églises à la modernité, elle n’hésite plus à commander des vitraux à des artistes non chrétiens. La puissance publique de l’époque s’en mêle aussi. Et c’est ainsi que Robert-Charles Renard, Architecte en Chef des Monuments Historiques (1946-1974), propose aux peintres Georges Braque et Fernand Léger d’intervenir sur la conception de nouveaux vitraux pour la Cathédrale Saint-Etienne de Metz, surnommée la « lanterne de Dieu » (6.500 m2 de surface vitrée). Les 2 refusent, mais Renard convainc les peintres Jacques Villon (le frère de Marcel Duchamp), Marc Chagall et Roger Bissière de dessiner et créer des verrières. Certains considèrent que ces interventions sont une 1ère dans l’histoire du vitrail, puisqu’il s’agit de la 1ère commande de vitraux d’avant-garde pour un Monument historique.
À la suite de l’exemple de la cathédrale de Metz qui fait rentrer l’art contemporain dans un lieu sacré, l’État commande pour la cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte à Nevers, la restitution des vitraux qui avaient été endommagés par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les choix se portent sur des artistes contemporains qui travaillent en général en tandem avec un peintre verrier. Parmi les artistes choisis : Raoul Ubac, Jean-Michel Alberola, Claude Viallat, François Rouan, Gottfried Honneger, ... Ces choix tournent définitivement le dos au passé : l’abstraction remplace le figuratif...
Loin d’être perçu comme une pratique artistique désuète, l’art du vitrail continue de fasciner les artistes contemporains qui travaillent de concert avec des ateliers spécialisés, comme c’est le cas des créateurs qui signent des modèles pour de grandes cristalleries. Citons par exemple les collaborations artistiques entre la Verrerie de Saint-Just (Loire) et les designers Peter Marino et Philippe Starck ou celles entre les Ateliers Duchemin et les artistes contemporains Anne et Patrick Poirier, Carole Benzaken, Robert Morris ou Sarkis...