De Pas, D’Urbino et Lomazzi : le design ludique des années Pop

L’histoire du design vintage et contemporain est jalonnée de collaboration construite en duo, voire en trio. C’est précisément le cas des architectes et designers italiens Jonathan De Pas, Donato D’Urbino et Paolo Lomazzi. Ils vont tous les 3 incarner l’âge d’or du design italien des années 60 et 70, s’inscrivant dans la mouvance antidesign. Leur studio d’architecture et design conçoit alors des pièces de mobilier iconiques, devenus des symboles de la pop culture. Cert article revient sur leur parcours et leurs créations entrées dans les collections des plus célèbres musées.

Vue de l’exposition De Pas, D’Urbino, Lomazzi organisée dans le cadre des Design Days 2013 à Genève par Arcadia, spécialiste du design italien. © arcadiameubles.ch

Jonathan De Pas (1932-1991), Donato D’Urbino (1935) et Paolo Lomazzi (1936) se rencontrent sur les bancs de l'école polytechnique de Milan en Italie. Immédiatement après avoir obtenu leur diplôme, ils fondent leur propre studio « De Pas, D’Urbino et Lomazzi » en 1966. Si cet article se concentre sur leur travail dans l’univers du mobilier, le trio d’architectes lance ses activités dans la réalisation de bâtiments (industrie et résidences), le développement urbain et le design industriel.

De gauche à droite : Jonathan De Pas, Donato D’Urbino & Paolo Lomazzi. © zanotta.com

Mais ce sont bien leurs pièces de mobilier essentiellement développées au début des années 60 et jusqu’à la fin des années 70 qui vont créer leur notoriété avec des modèles aujourd’hui encore célébrés dans le monde entier. Que dire ainsi du fameux gant de baseball géant faisant office de canapé baptisé Joe, en hommage au célèbre joueur américain de base-ball Joe DiMaggio ? Une création unique qui place le trio au cœur de l’expression de la culture populaire dans les arts et le design.

Fauteuil Joe, design De Pas, D’Urbino & Lomazzi (1968-1970). Une assise inspirée par la poésie du Pop Art. Une pièce iconique éditée par Poltronova. © poltronova.it

À l’époque, le fameux gant de base-ball est réalisé en mousse de polyuréthane moulée, ce qui illustre la faculté des 3 designers à explorer de nouveaux matériaux et techniques. Pour beaucoup de baby-boomers, le fauteuil Joe est alors l’expression d’un mode de vie décomplexé et ludique, en prise avec la gaieté qui rythme les années 60.

Autre pièce culte très représentative de l’énergie créative du design italien des années 1960, le très célèbre fauteuil transparent Blow conçu en 1967. Il s’agit, ni plus ni moins, de la 1ère pièce gonflable à être produite en masse et à rencontrer un succès international ! De Pas, D’Urbino et Lomazzi, comme certains designers de leur génération exploitent le potentiel du plastique et de ces dérivés pour créer des formes organiques originales.

Publicité pour le fauteuil plastique gonflable Blow, design De Pas, D’Urbino & Lomazzi , 1967. Blow incarne à merveille l’esprit des sixties : confort, originalité et couleur pop ! © pamono.fr
Fauteuils gonflables Blow en PVC transparent, design De Pas, D’Urbino & Lomazzi , 1967. Légers, coloris, ludiques et jetables, une création à l’image du design « pop » des sixties... © lejournaldelamaison

Pourquoi ces créations marquent-elles durablement les esprits ? Parce qu’elles sont l’expression d’une époque où les designers tournent le dos au design européen minimaliste et épuré hérité du Bauhaus, puis de sa traduction architecturale, le style international. L’époque est aux couleurs pop ; les valeurs changent, et avec elles la conception de l’habitat intérieur. En ce sens, De Pas, D’Urbino et Lomazzi incarnent un design nouveau dans la mouvance de ce qu’on a alors appelé l’antidesign.

Fauteuil Straccio en cuir ivoire, design De Pas, D'Urbino et Lomazzi pour Zanotta, 1973. Un autre pièce iconique du trio. La traduction plus massive en « cuir » du fauteuil Blow ?
Fauteuil Straccio en cuir ivoire, design De Pas, D'Urbino et Lomazzi pour Zanotta, 1968.

Que réclament les promoteurs de l’antidesign ? Il apparaît en Italie dans les années 60 en réaction au design sage et épuré que nous avons évoqué. Intellectuellement, les pionniers de l’antidesign veulent remettre au cœur de la création le potentiel social et culturel du design qui selon eux disparaît au profit d’un design orienté avant tout sur la fonctionnalité du meuble. Esthétiquement, cela se traduit par l’utilisation des symboles de la culture populaire et de la société de grande consommation, un trait commun au Pop Art alors en plein boom.

Portemanteau Sciangai, design De Pas, D'Urbino et Lomazzi pour Zanotta, 1973. Une autre pièce iconique du trio de designers inspiré par le jeu Mikado : ludique, simple, efficace, et une fois n’est pas coutume, en bois massif ! © archiproducts.com
Lampe de table orientable modèle Fante, design De Pas, D’Urbino & Lomazzi pour Stilnovo, 1978. Un design plus classieux et épuré, mais toujours ludique, puisque le réflecteur placé au sommet de l'ampoule, semblable à un chapeau à larges bords, permet d’orienter la lumière à volonté et donne lieu à de multiples combinaisons et effets de lumière. © archiproducts.com

Outre la fin des couleurs noires, blanches et grises et d’un design marqué par des lignes orthogonales, ces designers conçoivent des meubles et des objets colorés, aux formes originales parfois excentriques – ce que permet le développement de l’industrie du plastique – et l’utilisation de nouveaux matériaux comme les textiles synthétiques ou le formica, à la limite d’un style kitsch qui préfigure le design postmoderne du mouvement Memphis des années 80. Point important : alors que le design classique utilise des matériaux durables comme le bois, l’antidesign s’érige en champion de l’éphémère et du jetable.

2 autres créations incarnent à merveille l’explosion de ce nouveau design. Tout d’abord, la chaise pour enfants Chica, dit aussi Junior, pour laquelle De Pas, D’Urbino et Lomazzi présentent un prototype remarqué à la non moins remarquable exposition « Italy : The New Domestic Landscape», exposition qui a lieu en 1972 au MoMA et qui révèle au monde entier le génie du design italien. L’exposition propose un design anticonformiste, contestataire, et révèle des pièces de mobilier marquées par la flexibilité et la modularité, à l’image de la chaise Chica ou du fameux sac Sacco.

Chaises empilables pour enfants en plastique ABS modèle Chica, design De Pas, D’Urbino, Lomazzi & Giorgio DeCurso, 1971. Un système modulaires ingénieux de composants en plastique qui peuvent être assemblés de différentes façons pour créer des sièges, des tables et des structures de jeu. © moma.org
Siège Sacco, 1968. Design : Gatti, Paolini & Teodoro. © artdesigntendance.com

Autre création qui témoigne du besoin de l’époque pour un mobilier modulaire, léger, ludique et transformable, le fauteuil Galeotta, créé en 1968. Doté de coussins relevables, il s'ouvre pour se transformer en méridienne et en lit de repos.‎ Entièrement réalisée en mousse de polyuréthane à densité différenciée, l’assise ne possède pas de cadre porteur ni de mécanismes internes. Elle est composée de 3 blocs géométriques au profil irrégulier pour créer 3 configurations différentes.

Pour ceux que l’histoire du design passionne, De Pas, D’Urbino et Lomazzi ont été capables de traduire concrètement de nouvelles idées dans la réalisation d’un mobilier « pop » et ludique, mais toujours de qualité. Certains experts considèrent ainsi qu’ils ont su marier les idées d’un design radical - plus politique et expérimental que le style antidesign – avec la vie réelle, et ce pour le plus grand bonheur des aficionados du design vintage !

François BOUTARD

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