Le style brutaliste dans l’architecture et le design

Depuis quelques années, on observe un retour en grâce du « brutalisme », un style de design très particulier caractérisé par un minimalisme des formes et l’utilisation de matériaux bruts. Des designers actuels s’inspirent de ce style très en vogue des années 50 jusqu’à la fin des années 70 pour créer des pièces de collection uniques. Certains d’ailleurs n’hésitent pas à revendiquer un design « néo brutaliste » qui puise dans le brutalisme un goût pour la rudesse de certains matériaux nus (béton brut, bois rugueux, briques nues, plâtre patiné). Des pièces de mobilier attribuées à ce style sont aujourd’hui très prisées des collectionneurs. Ainsi, une très belle pièce signée Paul Evans se négocie aujourd’hui très cher sur un marché de connaisseurs.

Mais qu’entend-on exactement par brutalisme ? Nous allons tenter d’en définir les contours, avec pour lien direct l’architecture dite « brutaliste » qui s’est développée dans le monde entier au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et jusqu’aux années 80. Le terme brutalisme désigne avant tout un style architectural qui connut un âge d’or dans les années d’après-guerre avant d’être banni progressivement de l’espace public. Hérité du design moderne défendu par les figures historiques que furent Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe et Le Corbusier, le brutalisme se caractérise par un design froid, minimaliste, avec des matériaux de base peu coûteux comme le béton brut qui ont facilité la reconstruction peu coûteuse des villes après la Seconde Guerre Mondiale. L’architecte franco-suisse le Corbusier (1887-1965) est considéré comme un des pionniers de ce style, avec pour exemple la construction de la « Cité radieuse » à Marseille (1947-1952), développant le concept d’unité d’habitation.

La Cité Radieuse à Marseille,  Architecte : Le Corbusier.
La Cité Radieuse à Marseille, Architecte : Le Corbusier.

La Cité Radieuse à Marseille,  Architecte : Le Corbusier.
Une architecture imposante en béton. À gauche vue d’une façade, à droite le toit de la Cité radieuse occupé aujourd’hui par le Mamo, nouveau centre d'art contemporain géré par le designer français Ora-ïto.
La Cité Radieuse à Marseille, Architecte : Le Corbusier.
Une architecture imposante en béton. À gauche vue d’une façade, à droite le toit de la Cité radieuse occupé aujourd’hui par le Mamo, nouveau centre d'art contemporain géré par le designer français Ora-ïto.

L’architecture brutaliste est une réaction radicale à certains styles ornementaux comme le style Beaux-Arts, encore très en vogue aux Etats-Unis jusque dans les années 50. Ses principales caractéristiques sont : des bâtiments massifs souvent marqués par une très grande verticalité, aux formes géométriques anguleuses et répétitives – fenêtres souvent répétées –, un intérieur visible depuis l’extérieur qui permet de distinguer les fonctions de différentes parties d’un bâtiment, et enfin un refus total de toute ornementation. Outre le béton, les architectes recourent au verre, à la brique, à l'acier, ou encore à la pierre grossièrement taillée.

Outre Le Corbusier, les figures emblématiques de l’architecture brutaliste sont Marcel Breuer (1902-1981), Ernő Goldfinger (1902-1987), Bertrand Goldberg (1913-1997), Jacques Kalisz (1926-2002) ou encore Fernand Boukobza (1926-2012). Le brutalisme architectural eut un retentissement particulier en Grande Bretagne au lendemain de la guerre : les architectes Alison Smithson (1928-1993) Peter Smithson (1923-2003) ont développé une pensée architecturale héritée des principes architecturaux définis par Mies Van der Rohe tendue vers une radicalité extrême (finition brute des bâtiments) et la volonté de « connecter » bâtiment, utilisateur (piéton) et site.

Bâtiment principal de l'Unesco, inauguration en 1958 (travaux : 1955-1958). Architectes : Marcel Breuer, Bernard Zehrfuss, et Pier Luigi Nervi. Leurs plans ont été validés par un comité international de 5 architectes dans lequel figurait Walter Gropius.
Bâtiment principal de l'Unesco, inauguration en 1958 (travaux : 1955-1958). Architectes : Marcel Breuer, Bernard Zehrfuss, et Pier Luigi Nervi. Leurs plans ont été validés par un comité international de 5 architectes dans lequel figurait Walter Gropius.

Siège de l’Unesco, Paris, vue de l’intérieur. Le béton brut est omniprésent.
Siège de l’Unesco, Paris, vue de l’intérieur. Le béton brut est omniprésent.

Trellick Tower, Kensal Town, Londres. Un bâtiment édifié en 1972 et conçu par l’architecte Ernő Goldfinger, incarnation du plus pur style brutaliste.
Trellick Tower, Kensal Town, Londres. Un bâtiment édifié en 1972 et conçu par l’architecte Ernő Goldfinger, incarnation du plus pur style brutaliste.

Le Centre national de la danse sur le canal de l'Ourcq à Pantin (Seine-Saint-Denis). Une architecture typique du style brutaliste, des blocs de béton répétitifs en façade, architecte : Jacques Kalisz, 1972.
Le Centre national de la danse sur le canal de l'Ourcq à Pantin (Seine-Saint-Denis). Une architecture typique du style brutaliste, des blocs de béton répétitifs en façade, architecte : Jacques Kalisz, 1972.

Le Centre national de la danse sur le canal de l'Ourcq à Pantin (Seine-Saint-Denis), vue de l’intérieur.
Le Centre national de la danse sur le canal de l'Ourcq à Pantin (Seine-Saint-Denis), vue de l’intérieur.

Projet Marina City, 2 gratte-ciels extraordinaires en forme d’épis de maïs, construits entre 1959 et 1964 au bord de la rivière Chicago, sur les plans de l’architecte américain Bertrand Goldberg.
Projet Marina City, 2 gratte-ciels extraordinaires en forme d’épis de maïs, construits entre 1959 et 1964 au bord de la rivière Chicago, sur les plans de l’architecte américain Bertrand Goldberg.

Vue des 2 tours, Marina City, Chicago, Etats-Unis.
Vue des 2 tours, Marina City, Chicago, Etats-Unis.

Bâtiment de l’école Hunstanton achevé en 1954 et considéré comme le manifeste du nouveau mouvement brutaliste (comté de Norfolk, Angleterre). Alison et Peter Smithson firent sensation dans le milieu de l’architecture en concevant un bâtiment austère au design épuré utilisant des matériaux bruts exposés (verre, brique et béton)
Bâtiment de l’école Hunstanton achevé en 1954 et considéré comme le manifeste du nouveau mouvement brutaliste (comté de Norfolk, Angleterre). Alison et Peter Smithson firent sensation dans le milieu de l’architecture en concevant un bâtiment austère au design épuré utilisant des matériaux bruts exposés (verre, brique et béton)

Bâtiment de l’école Hunstanton, comté de Norfolk, Angleterre, architectes : Alison Peter Smithson. À l’intérieur du bâtiment les matériaux bruts restent visibles, non peints. Même les tuyaux électriques sont exposés !
Bâtiment de l’école Hunstanton, comté de Norfolk, Angleterre, architectes : Alison Peter Smithson. À l’intérieur du bâtiment les matériaux bruts restent visibles, non peints. Même les tuyaux électriques sont exposés !

Le terme brutalisme a progressivement dépassé le simple domaine de l’architecture pour désigner des tendances/courants artistiques dans différentes disciplines dont le design. L’un des premiers designers à avoir été affublé de l’étiquette brutaliste fut le designer et sculpteur américain Paul Evans (1931-1987), acteur majeur du mouvement artisanal américain des années 60 et 70. On reconnaît son travail à la brutalité esthétique des meubles auxquels il donne vie (meubles anguleux, géométrie répétitive).

Buffet suspendu acier émaillé, bois et ardoise, 1970, design création Paul Evans pour l’éditeur Directional.
Buffet suspendu acier émaillé, bois et ardoise, 1970, design création Paul Evans pour l’éditeur Directional.

Cabinet suspendu, pièce unique, 1955, design Paul Evans pour P. Lloyd Powell. Matériaux utilisés : noyer, laiton, émail et ardoise.
Cabinet suspendu, pièce unique, 1955, design Paul Evans pour P. Lloyd Powell. Matériaux utilisés : noyer, laiton, émail et ardoise.

Paul Evans est assez représentatif du positionnement du design brutaliste, à savoir qu’il exerce son travail à l’intersection de l’art, de l’artisanat et du design. Certains spécialistes du style brutaliste indiquent que l’on peut aussi « classer » ce style comme empruntant à l’architecture brutaliste, au style industriel et à l’artisanat. À la fin des années 1950, Paul Evans a commencé à fabriquer des coffres en cuivre avec des portes décoratives, suivis d'armoires à façade en acier sculpté qui révélaient la manière unique dont il maîtrisait les techniques de soudure. En 1964, Evans est devenu le designer du fabricant de meubles Directional. Avec ce dernier, il a présenté des éditions collectionnables, telles que la série Argente, la série Sculpted Bronze et la très populaire série Cityscape. Contrairement à ses confrères architectes, Evans pensait son travail comme une réalisation de pièces d’art collectionnables.

Armoire à facettes, modèle PE-354, design Paul Evans pour Directional USA, 1970. Acier chromé et fibre de verre émaillée.
Armoire à facettes, modèle PE-354, design Paul Evans pour Directional USA, 1970. Acier chromé et fibre de verre émaillée.

Table en verre avec piédestal en bronze sculpté et acier, design Paul Evans vers 1970.
Table en verre avec piédestal en bronze sculpté et acier, design Paul Evans vers 1970.

Outre Paul Evans, d’autres designers vont percer et proposer leur vision d’un mobilier aux surfaces dures et texturées. Le terme brutaliste se démocratise dans les années 70 pour être associé à tout objet en métal, avec des pièces qui ont parfois des formes botaniques et non géométriques. Ainsi en est-il du designer danois Svend Aage Holm Sørensen (1913-2004) qui crée des suspensions en laiton, en forme de diamants ou de feuilles déchiquetées. Le designer belge Daniel d’Haeseleer conçoit lui des palmiers en laiton posés sur pierre.

Suspension brutaliste en tôle de laiton, design de Svend Aage Holm Sørensen pour Holm Sørensen Co, 1960.
Suspension brutaliste en tôle de laiton, design de Svend Aage Holm Sørensen pour Holm Sørensen Co, 1960.

Palmier décoratif en laiton sur pierre, design : Daniel d’Haeseleer, vers 1970.
Palmier décoratif en laiton sur pierre, design : Daniel d’Haeseleer, vers 1970.

Parmi les designers représentatifs du design brutaliste, 2 figures américaines se distinguent : Adrian Pearsall (1925-2011), influencé par Vladimir Kagan et Isamu Noguchi, et dont le travail sur bois est remarquable ; ainsi que Marc Weinstein, spécialiste des appliques murales et des luminaires en général. Citons également le designer batave Paul Kingma (1931-2013), le belge George Mathias, les italiens Sergio Georgio Saporiti et Marcello Fontani (1915-2011).

Crédence de buffet brutaliste, design Adrian Pearsall pour Craft Associates (USA) vers 1960. Matériaux : bois et résine époxy.
Crédence de buffet brutaliste, design Adrian Pearsall pour Craft Associates (USA) vers 1960. Matériaux : bois et résine époxy.

Crédence de buffet brutaliste, détail du bois sculpté, design Adrian Pearsall pour Craft Associates (USA) vers 1960. Matériaux : bois et résine époxy.
Crédence de buffet brutaliste, détail du bois sculpté, design Adrian Pearsall pour Craft Associates (USA) vers 1960. Matériaux : bois et résine époxy.

2 fauteuils années 50 attribués à Adrian Persall pour Craft Associates.
2 fauteuils années 50 attribués à Adrian Persall pour Craft Associates.

Composition de 4 sculptures brutalistes de grande taille, appliques conçues par Marc Weinstein, années 1970. Les 4 sont de formes différentes. Corps en acier patiné cuivre et bronze brossé, boules de verre opalin blanc.
Composition de 4 sculptures brutalistes de grande taille, appliques conçues par Marc Weinstein, années 1970. Les 4 sont de formes différentes. Corps en acier patiné cuivre et bronze brossé, boules de verre opalin blanc.

Table basse vintage style brutaliste, design Paul Kingma, années 1960. Mosaïque de plusieurs pierres colorées. Structure en acier martelé.
Table basse vintage style brutaliste, design Paul Kingma, années 1960. Mosaïque de plusieurs pierres colorées. Structure en acier martelé.

Luxueuse table basse en laiton gravée à l'acide, conception George Mathias, vers 1970. Le centre de la table est incrusté d'un grand morceau d'agate avec une source lumineuse en dessous. Lorsque la lumière est allumée, l'agate s’allume. Le dessus de table repose sur un grand pied carré en noir, fini avec un rebord en laiton.
Luxueuse table basse en laiton gravée à l'acide, conception George Mathias, vers 1970. Le centre de la table est incrusté d'un grand morceau d'agate avec une source lumineuse en dessous. Lorsque la lumière est allumée, l'agate s’allume. Le dessus de table repose sur un grand pied carré en noir, fini avec un rebord en laiton.

Luxueuse table basse en laiton gravée à l'acide, conception George Mathias, vers 1970, détail.
Luxueuse table basse en laiton gravée à l'acide, conception George Mathias, vers 1970, détail.

Table à repas vintage en béton et verre, design Giorgio Saporiti, 1973.
Table à repas vintage en béton et verre, design Giorgio Saporiti, 1973.

Suspension brutaliste, design Marcello Fantoni, années 70. Tubes de fer ajourés et soudés. Tulipes en verre de Murano.
Suspension brutaliste, design Marcello Fantoni, années 70. Tubes de fer ajourés et soudés. Tulipes en verre de Murano.

Suspension brutaliste, détail, design Marcello Fantoni, années 70.
Suspension brutaliste, détail, design Marcello Fantoni, années 70.

Même pièce, avec l’éclairage.
Même pièce, avec l’éclairage.

Radical, d’une esthétique moderne avec l’emploi de matériaux industriels, les pièces de style brutaliste ne laissent pas en général indifférent. Proche d’un design qui serait art, le mobilier brutaliste accède à la reconnaissance d’un public de passionnés, qui perçoit, au-delà de la fonctionnalité de l’objet, l’expression d’une certaine beauté...

François Boutard

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