Le plastique dans l'histoire du design

Depuis les années 1950, l'utilisation du plastique dans le domaine du design de meubles a connu une évolution remarquable. Ce matériau polyvalent a révolutionné la façon dont les créateurs abordent la conception de meubles, offrant des possibilités nouvelles et audacieuses en termes de forme, de fonction et d'esthétique. Cet article explore l'histoire de l'utilisation du plastique dans le design de meubles, en mettant en lumière les tendances clés et les contributions majeures qui ont marqué son développement.

Tabouret vintage "TamTam krystal candy", réédition par Sacha Cohen, 2002. Ce modèle est la réédition du fameux tabouret Tam Tam en plastique conçu par le designer Henry Massonnet en 1968, symbole du triomphe du plastique dans l’industrie du mobilier des années 60.

Avant que le plastique et ses dérivés inondent le marché de l’ameublement dans les années 60 et 70, rappelons-nous qu’il était déjà largement utilisé dans la conception d’objet. Qui se rappelle ainsi la bakélite, un plastique totalement synthétique et thermodurcissable utilisé dans la 1ère partie du XXe siècle pour fabriquer nombre d’objets du quotidien (boitiers de téléphone et de radio, ustensiles de cuisine, prises et interrupteurs électriques, peignes) ?

Ancien téléphone mural en bakélite des années 50/60 avec son cadran et sa petite manivelle sur le côté. © legrenierdelisette.com

Parmi les premiers designers à avoir exploré les possibilités du plastique, le couple américain Charles & Ray Eames lance en 1950 leur gamme de « plastic chairs », des assises conçues avec des coques en résine de polyester renforcées de fibre de verre. En pionniers, ils ouvraient la voie à une utilisation plus répandue du plastique dans le mobilier contemporain.

Plastic chairs, design Charles & Ray Eames, 1950. L’éditeur suisse Vitra signe en 1957 un accord de licence avec Herman Miller, le fabricant et éditeur américain des Eames, et produit les assises du couple pour l'Europe et le Moyen-Orient. © www.ubm-development.com

Dans les années 50, les recherches sur le plastique s’accélèrent et en 1959, le designer danois Verner Panton dessine et conçoit sa fameuse chaise S (ou Panton chair), la 1ère chaise réalisée en plastique moulé d’une seule pièce. Créatif hors pair qui tourne le dos au design traditionnel scandinave qui magnifie les matériaux traditionnels comme le bois, Panton a compris le potentiel incroyable que le plastique offre à la création de nouvelles formes.

Chaise S, design Verner Panton, 1959. L’éditeur Vitra fabrique la chaise en série depuis 1967. La Chaise S est une chaise en porte-à-faux qui incarne à merveille l’énergie des années 60... © proantic.com
Le designer danois Verner Panton devant ses fameuses chaises S miniatures. © www.nedgis.com

Avec d’autres créateurs, Verner Panton expérimente une nouvelle technique qui révolutionne l’industrie du meuble : l'utilisation du plastique moulé par injection qui permet une plus grande variété de formes et de designs, tout en ouvrant la voie à une accessibilité accrue de ces meubles innovants. Dès lors, l’imagination des designers n’a plus de limites, puisqu’ils ont à disposition un matériau malléable qui a la capacité d’être moulé et de prendre ainsi toutes les formes souhaitées. Et, cerise sur le gâteau, le plastique accepte toutes les couleurs !

Chaise vintage Universale modèle 4867, design Joe Colombo pour l’éditeur Kartell, 1967. La 4867 est devenue une pièce iconique des années 60, elle est entièrement réalisée en ABS (acrylonitrile butadiène styrène, polymère thermoplastique) et moulée par injection.

Certains modèles ont marqué plus que d’autres l’irruption du plastique dans la fabrication de meubles. C’est le cas de la chaise d’enfants K1340 (ou modèle K4999) réalisée en polyéthylène moulé par injection. Issue de la collaboration entre l’architecte et designer italien Marco Zanuso et l’architecte designer allemand Richard Sapper, cette assise est considérée par certains experts comme le premier siège produit en série entièrement réalisé en plastique. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la petite chaise est produite par l’éditeur italien Kartell, qui consacre la montée en puissance du design italien.

Empilage de chaises pour enfants modèle K4999, design Marco Zanuso & Richard Sapper pour l’éditeur Kartell, 1964. Les chaises sont modulables et empilables telles des Legos, en plus d’être solides. © lasoutdp1719.wordpress.com
Chaises pour enfants modèle K4999, design Marco Zanuso & Richard Sapper pour l’éditeur Kartell, 1964. © sbandiu.com
Chaise K4870, design Anna Castelli-Ferrieri pour Kartell, 1987. Fondatrice de l‘éditeur Kartell avec son mari, Giulio Castelli, Anna Castelli-Ferrieri décline, bien des années plus tard, une autre assise colorée, et toujours en plastique ! © pamono.fr
Chaises K4870, design Anna Castelli-Ferrieri pour Kartell, 1987. Cette assise, toujours empilable et colorée lui vaut de recevoir le Compasso d’Oro en 1987. © pamono.fr

Si j’évoque l’éditeur Kartell, ce n’est pas innocent. En effet, la place grandissante du plastique et de ses composés concomite avec le triomphe du design italien sur la scène internationale. Créateurs et éditeurs italiens s’emparent des nouvelles possibilités esthétiques du plastique pour créer des modèles innovants, colorés et ludiques. On peut ainsi citer la collaboration entre Joe Colombo et Kartell, ou encore le succès des lampes de l’éditeur italien Harvey Guzzini.

Lampe de table modèle Fiona, design Luigi Massoni pour Harvey Guzzini, 1970. La recette du succès du design italien : un design inventif, du plastique malléable et des coloris dynamiques ! © 1stdibs.com
Lampe de table modèle Nesso, design Giancarlo Mattioli pour Artemide, structure en polymére thermoplastique (ABS) injectée. Une lampe iconique du design italien avec son look futuriste et ses couleurs pop. © artemide.net

Depuis la fin des années 50 jusqu’au 1er choc pétrolier de 1973, plusieurs facteurs favorisent le développement de l’industrie du plastique. Tout d’abord, l’industrie pétrochimique encourage l’utilisation du plastique et aide de nombreux designers à développer leurs projets. De son côté, la grande distribution s’engouffre dans ce créneau porteur, synonyme d’un nouveau mode de vie encouragé par l’avènement de la grande consommation. Ainsi, Prisunic, chaîne de magasins populaires et de commerce de proximité, lance dans les années 60 un catalogue de mobilier, luminaires et vaisselle, qui promeut le design contemporain, signé Marc Held, Terence Conran, Olivier Mourge, ou encore Danielle Quarante. Enfin, on peut voir dans le plastique l’opportunité pour une nouvelle génération de créateurs de tourner le dos à un design « terne », via le rejet des matériaux naturels comme le bois.

Catalogue de meubles Prisunic, années 60. Au 1er plan, on reconnaît un chariot qui ressemble au fameux chariot « Boby » en plastique rouge conçu par Joe Colombo. © tout-prisu.net
Catalogue de meubles Prisunic avec pour vedette le lit en polyester moulé (matière artificielle synthétique dérivée du pétrole) conçu par Marc Held. © tout-prisu.net

Le catalogue Prisunic est à ce titre révélateur de l’évolution sociétale d’alors : on veut du mobilier modulable, populaire, et de la couleur pour vivre de façon libre et nomade... Et le plastique est par excellence le matériau qui exauce tous ces vœux : il est économique, produit de façon industrielle avec des économies d’échelle, accepte toutes les formes et les couleurs, et est accessible à tous !

Table Danielle Quarante Pour Monoprix, Édition Prisunic, années 70. © ebay.fr
Table Danielle Quarante Pour Monoprix, Édition Prisunic, années 70. Détail de la signature du designer. © ebay.fr

Si le design des années 60 libère la créativité des designers, il le doit aussi à l’utilisation massive du caoutchouc mousse synthétique (mousse de polyuréthane) qui permet de rembourrer des structures en acier, garnir des coussins, et sur lequel il est facile de tendre du jersey. Le polyuréthane, autrement désigné PU, fait partie de la grande famille diversifiée des polymères et des plastiques.

Une des icônes du design vintage des années 60 : Le fauteuil Canapé vintage "djinn" à 2 places conçu par Olivier Mourgue pour Airborne. L’armature interne est en tube d'acier et le rembourrage en mousse polyuréthane. Le revêtement textile est en jersey de laine mélangée.

Les années 1980 et 1990 ont été marquées par une exploration approfondie des possibilités esthétiques offertes par le plastique. Les designers ont expérimenté avec des couleurs vives, des formes géométriques audacieuses et des effets de transparence, créant ainsi des pièces de mobilier qui ont captivé l'imagination du public. La chaise Louis Ghost de Philippe Starck, introduite en 2002, est un exemple notable de cette période, combinant une esthétique classique avec la modernité du plastique transparent. 

Aujourd’hui, crise écologique oblige, les fabricants de mobilier et designers adoptent des dérivés plastiques 100% recyclés. C’est ainsi que l’éditeur Kartell utilise un nouveau polycarbonate 2.0 pour tous les best-sellers qui portent sa griffe, et marque sa volonté de proposer des modèles réalisés avec des matériaux durables pour des produits démontables et recyclables. Une nouvelle mue pour le plastique...

haise Louis Ghost, design Philippe Starck pour Kartell, polycarbonate transparent, 2002. Le modèle est aujourd’hui commercialisé avec un polycarbonate 2.0, provenant de matière première renouvelable issue de l’industrie du papier et de la cellulose (certifié ISCC). © madeindesign.com
Meuble de rangement Componibili Bio plastique. Une icône de la marque conçue en 1967 par Anna Castelli Ferrieri, aujourd’hui fabriqué avec du bioplastique Bio-On : 100% naturel, recyclable, et biodégradable. © madeindesign.com

François BOUTARD

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