La marqueterie est un décor réalisé avec des placages de bois et diverses autres matières (nacre, ivoire, pierre, galuchat, métaux non ferreux, paille), en général découpés suivant un dessin et collés sur un support (meuble, boiserie, ou tableau). Au fil des siècles, les ébénistes d’art ont perfectionné la technique de la marqueterie pour réaliser de somptueux meubles aux décorations très figuratives ou plus abstraites. Dans cet article, nous revenons sur l’évolution de cette technique ornementale très en vogue durant 2 grandes périodes historiques et que certains designers contemporains revisitent avec goût.
Dans l’Antiquité égyptienne, certains artisans très habiles pratiquaient déjà l’incrustation en plaçant des morceaux d’os, d’ivoire, de pâte de verre et de pierre dans le bois. Il faut attendre le XIVème siècle et la Renaissance italienne pour voir les florentins placer de fines plaques de bois précieux ou de nacre - préalablement découpées aux ciseaux - dans des meubles en bois. L’Italie est considérée comme le berceau de la marqueterie traditionnelle.
Les XVIIème et XVIIIème siècle marquent le 1er âge d’or de la marqueterie, en particulier en France, où le contexte historique permet le développement de meubles richement ornementés (style Louis XIV et Louis XV). Louis XIV entreprend une série de travaux audacieux dont l’objectif est de restaurer l’image de puissance du Royaume : restauration du palais et du jardin des Tuileries, construction du « Versailles » moderne, développement de la Manufacture Nationale des Gobelins. Le mobilier d’apparat richement orné de placages et d’incrustations est synonyme de richesse : la marqueterie atteint son apogée.
Elle profite aussi de l’exportation des bois précieux depuis les colonies (amourette de Guyane, palissandre des Indes). Un homme vient alors révolutionner la technique de la marqueterie. André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste du roi, développe la technique dite de « La Tarsia a incastro » ou « partie contre partie ». Les dessins sont formés en négatif et en symétrie. L’Atelier Boulle utilise des découpages de cuivre, de laiton et d'écaille rouge de tortue.
Bien que les techniques se perfectionnent, la marqueterie tombe un peu en désuétude au XIXème siècle avant de renaître sous l’impulsion du mouvement de l’Art nouveau, au tournant du XXème siècle. En réaction à l’époque industrielle, l’Art nouveau privilégie un mobilier aux ornementations riches dont les formes sont inspirées de la faune et de la flore.
Émile Gallé (1846-1904), chef de file de l’École de Nancy, intègre dans la création de ses meubles des ornements de marqueterie en bois. À Paris, Samuel « Siegfried » Bing (1838-1905), marchand d’art japonais et oriental, diffuse l’Art nouveau, notamment les créations des architectes, ébénistes et créateurs de meubles comme Georges de Feure (1868-1943), Eugène Gaillard (1862-1933) et Édouard Colonna (1862-1948).
L’Art déco succède à l’Art nouveau avec un mobilier aux lignes plus géométriques et épurées. Néanmoins, la marqueterie reste assez prisée, l’époque appartient aux grands décorateurs qui continuent d’employer des matériaux « riches ». La marqueterie de paille, notamment, connaît un nouvel essor dans les années 1920 avec Jean-Michel Frank (1895-1941) et André Groult (1884-1966).
Après ce second âge d’or, la marqueterie se fait plus discrète après-guerre. Elle n’est plus vraiment à la mode, mais elle continue de séduire un public amateur de meubles à la finition soignée. En France, la maison de meubles Jansen, revisite des styles anciens avec des matériaux de qualité. Ses clients : de grandes fortunes internationales, la familles royale britannique, chez qui de beaux meubles en marqueterie ornent des salons d’apparat.
Parmi les créateurs contemporains qui affectionnent la marqueterie, citons Jean-Claude Mahey, designer qui fonde en 1976 sa société de création de meubles contemporains, spécialiste d’un mobilier utilisant les métaux précieux et les bois riches. À l’étranger, l’architecte d'intérieur et designer suisse Dieter Waeckerlin (1930-2013) conçoit un mobilier réputé pour une haute qualité de fabrication qui séduit une clientèle autant locale qu’internationale. En Allemagne, Heinz Lilienthal (1927-2006), un des pionniers allemands de la peinture sur verre, spécialiste des décorations murales en métal, bois et béton, fabrique du mobilier de table en marqueterie.
La marqueterie reste très populaire en Italie. La ville de Sorrente dans la baie de Naples possède une tradition séculaire de la marqueterie de bois précieux. Certaines maisons « historiques », comme la maison Basile créée en 1930, continue encore de fabriquer des meubles en bois précieux réalisés par des artisans d’art spécialistes de la marqueterie (sous la marque Studio Hebanon). Le grand architecte et designer italien Alessandro Mendini (1931-2019), s’est essayé avec brio à la marqueterie pour l’éditeur Zanotta au milieu des années 80.
La marqueterie moderne continue de plaire : elle combine souvent un assemblage de plusieurs bois, comprend des empiècements de cuir et de métal, et joue sur les couleurs. Certains designers aiment la revisiter avec bonheur pour éprouver leur créativité.
François Boutard