Il y a 3 ans, la ville d’Utrecht aux Pays-Bas fêtait le centenaire de la création du mouvement De Stijl (« Le style » en néerlandais). Mouvement artistique et avant-gardiste fondé en 1917 par le peintre, architecte et théoricien de l'art, Theo van Doesburg, De Stijl influença l’architecture et l’urbanisme du XXe siècle et insuffla un vent de nouveauté dans la peinture avec la volonté de créer un langage abstrait et codifié, dont la grande figure fût Piet Mondrian. Mouvement né en Hollande, ces représentants, des peintres, architectes, sculpteurs et poètes, contemporains de l’Ecole du Bauhaus, ont essaimé leurs idées durant une quinzaine d’années, à la recherche d’une harmonie universelle intégrant tous les arts. Leur désir : détruire le « baroque », soit la volonté d’en finir avec une architecture décorative par l’utilisation de couleurs et de formes « pures ». Retour sur une aventure peu ordinaire et ses protagonistes...
L’initiateur de ce mouvement, Theo van Doesburg (1883-1931), est peintre de formation et s’exprime dans un style naturaliste jusqu’en 1915. Une rencontre majeure va alors bouleverser sa vision esthétique et intellectuelle des arts majeurs. En 1915, il découvre le travail de son compatriote Piet Mondrian (1872-1944). Un choc avec une peinture qui n’est plus figurative et déjà abstraite. Ce dernier, qui a découvert le cubisme audacieux de Picasso et Braque, se tourne progressivement vers l’art abstrait, alors en pleine ébullition.
De son côté, Piet Mondrian est inspiré par un tableau de son compatriote Bart van der Leck (1876-1958), La Tempête (1916), qui suit déjà certains préceptes de ce que sera le manifeste De Stijl. En particulier, Piet Mondrian a l’idée de réduire les couleurs de ses prochaines toiles aux seules 3 couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) qui figurent dans le tableau de van der Leck (en plus du noir). Il définit ce qu’il appelle le néoplasticisme, soit la pratique d’un art abstrait, austère et géométrique.
En 1917, Theo van Doesburg crée officiellement De Stijl avec Piet Mondrian et Bart van der Leck, mais aussi avec le peintre et designer hongrois Vilmos Huszár (1884-1960), l’artiste et sculpteur belge Georges Vantongerloo (1886-1965), les architectes néerlandais Robert van’ t Hoff (1887-1979), Jacobus Johannes Pieter Oud (J.J.P. Oud, 1890-1963), Jan Wils (1891-1972), ainsi que le poète et écrivain Antony Kok (1892-1969). Ce faisant, Van Doesburg lance la revue manifeste du groupe, De Stijl, qui perdurera jusqu’à sa mort en 1931, une année qui marque un point final à l’aventure De Stijl.
Quelle(s) ligne(s) directrice(s) revendiquent les acteurs du mouvement ? Ils souhaitent construire une œuvre d’art totale, via une approche multidisciplinaire dans la recherche d'un art pouvant intervenir dans tous les aspects de la vie. Concrètement, leurs idées se manifestent par l’usage unique des couleurs « pures » (bleu, jaune, rouge) et des non-couleurs (blanc, gris, noir), appliquées en aplat (couleur et luminosité uniformes) ; l’utilisation de lignes et de combinaisons de couleurs sur des surfaces planes, l’usage exclusif de lignes droites et orthogonales, de formes se limitant à des rectangles et des carrés et d’un espace dynamisé par le jeu des diagonales.
Les règles édictées par le mouvement De Stijl vont influencer le style Bauhaus, le style international en architecture, jusqu’à des personnalités majeures de l’époque comme Le Corbusier ou Robert Mallet-Stevens. C’est ainsi qu’en 1921, Theo van Doesburg organise en dehors du Bauhaus un cours sur les théories de De Stijl (« Stijl-Kursus »), à la demande d’élèves et d’enseignants. Les architectes Walter Gropius et Mies van der Rohe sont séduits par les idées du mouvement qui veut associer les arts plastiques à l’architecture, au graphisme, à la typographie et au design, dans le but d’améliorer le cadre de vie de l’homme moderne.
Si Theo van Doesburg est le théoricien et animateur du mouvement à travers la revue De Stijl, et Piet Mondrian son représentant le plus connu pour sa peinture qui sublime le réel par la seule force de lignes géométriques et de 3 couleurs primaires, la troisième figure marquante du mouvement est Gerrit Rietveld (1888-1964). Ce designer, architecte et ébéniste originaire d’Utrecht comme van Doesburg, réalisera dans les années 20 des bâtiments et du mobilier fidèles aux théories développées par De Stijl.
En 1918, alors qu’il ne connaît rien de l’avant-garde néerlandaise, Gerrit Rietveld conçoit la chaise Rouge et Bleue. C’est en 1919 qu’il rencontre les créateurs du mouvement qu’il intègre. 5 années plus tard en 1923, il applique les principes de De Stijl en laquant l’assise avec les 3 couleurs fondamentales. Fidèle au minimalisme prôné par De Stijl, la chaise Rouge et Bleue devient une pièce majeure du mouvement et est considérée de nos jours comme une des pièces les plus emblématiques du design du XXe siècle. Elle redéfinit pour l’époque la modernité.
En 1924, Gerrit Rietveld est mandaté par Truus Schröder, pharmacienne de son état et impliquée au sein du mouvement De Stijl, pour concevoir sa maison qui devient la Rietveld Schröderhuis (« La maison Schröder de Rietveld ») à Utrecht. Gerrit Rietveld va y appliquer les principes de De Stijl. Le projet est un assemblage asymétrique d'éléments simples et rehaussés par les couleurs primaires, bleu, rouge et jaune. Rietveld cherche à faire une synthèse des arts entre peinture, sculpture et architecture. Il emploie la ligne droite et l’angle droit, crée des espaces de vie modulables, à la manière d’un tableau de Mondrian. Les fenêtres sont de grandes ouvertures tournées vers l’extérieur pour laisser l’espace intérieur baigner dans la lumière.
Autre réalisation architecturale exemplaire du style de Stijl : la rénovation de l’Aubette sur la Place Kléber à Strasbourg. Jean Arp et son épouse Sophie Taeuber-Arp ont la charge de moderniser l’aile droite du bâtiment, devenu un centre de loisirs défraîchi. Ils demandent alors à leur ami Theo van Doesburg de les aider à réaliser l’aménagement intérieur de l’endroit. Van Doesburg et les Arp s’accordent pour réaliser une harmonie d’ensemble suivant les règles de De Stijl. Le chantier, qui s’étire de 1926 à 1928, donne naissance à un complexe de loisirs d’un genre nouveau...
Manifeste réaliste et quelque part utopique, des dissensions d’ordre théoriques fragmentent progressivement De Stijl qui disparaît avec la mort de Theo van Doesburg. Il reste que pour l’époque, De Stijl fut terriblement moderne, il annonçait la victoire du style international. De Stijl continue en tout cas de passionner les amateurs d’art et de design, et influence encore les créateurs contemporains.
François Boutard