Angelo Mangiarotti : architecte du mobilier design

Angelo Mangiarotti est une figure éminente de l’architecture et du design italien du 20ème siècle. Ce n’est pourtant pas un des créateurs italiens les plus connus du grand public. Et pourtant, sa carrière s’étale sur près d’un demi-siècle et témoigne d’une activité intense et protéiforme : Mangiarotti aura réalisé des infrastructures ferroviaires majeures, restauré de nombreux bâtiments publics et résidentiels, conçu des usines, imaginé des résidences privées et touristiques, réalisé des pièces de design industriel, avant de se muer en sculpteur, du marbre notamment, un matériau qu’il affectionnait tout particulièrement. Cet article vous propose de revenir sur des créations emblématiques du designer, de l’architecture au design, avec pour point commun un sens aigu de l’équilibre architectural.

En 2018, RBC Paris organisait l’exposition Angelo Mangiarotti – Skilful Reflectionsi, avec une sélection des plus belles pièces du designer ©Matteo Lavazza

Angelo Mangiarotti est né à Milan en 1921. Il décroche un diplôme d’architecte de la très réputée École polytechnique de Milan en 1948. 5 ans plus tard, il part travailler aux États-Unis et donne des cours comme professeur invité à l'Institut de technologie de l'Illinois où il fait la connaissance de figures éminentes de l’architecture européenne émigrée aux États-Unis que sont Walter Gropius, Mies van der Rohe et Konrad Wachsmann. Il rencontre aussi l’architecte américain le plus influent du 20ème siècle : Frank Lloyd Wright.

Angelo Mangiarotti
© Vistosi

Mangiarotti reste 2 ans aux États-Unis avant de revenir en Italie. En 1955, il s’associe à Bruno Morassutti (1920-2008) et ouvre un cabinet de design et d’architecture. Jusqu’en 1960, date à laquelle les 2 architectes mettent fin à leur collaboration, ils se spécialisent dans la réalisation de bâtiments industriels et la restauration de bâtiments résidentiels et publics.

Immeuble Via Quadronno, Milan, architecture :  Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1956-1962. L’originalité du bâtiment vient notamment d’une configuration ouverte de « façades continues ». © Atlas of Places

Immeuble Via Quadronno, Milan, architecture :  Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1956-1962. L’originalité du bâtiment vient notamment d’une configuration ouverte de « façades continues ».
© Atlas of Places

Immeuble Via Quadronno, Milan, architecture :  Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1956-1962.
© Atlas of Places

Bureau vintage italien en palissandre, design : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, années 1950. Le bureau est doté de 2 tiroirs, piétements compas en bois noirci

Mangiarotti monte ensuite sa propre agence d’architecture. Fidèle au design industriel, il travaille dans un 1er temps comme consultant pour le constructeur italien Alfa Roméo. Déjà remarqué pour des créations architecturales avant-gardistes menées avec Bruno Morassutti, Mangiarotti est ensuite happé par les plus grands éditeurs de mobilier design (Artemide, Cassina, Knoll) pour qui il réalise des pièces de mobilier, certaines devenues culte

Dans les années 80, il devient directeur artistique de la cristallerie italienne Colle Cristalleria. Son aura et sa renommée internationale le conduisent à installer en 1989 à Tokyo des bureaux de son agence : « Mangiarotti et Associates Office ». Dans le même temps, il conçoit et fait construire la Gare de Milano Repubblica. En parallèle de ses activités architecturales et de design, Angelo Mangiarotti a continué d’enseigner dans de nombreuses universités étrangères et italiennes (Venise, Hawaï, Lausanne, Adélaïde, Milan).

Vue de l’intérieur de la Gare Reppublica, Métro de Milan.
© Arbalete

Reconnu dans le monde entier, Angelo Mangiarotti a reçu pas moins d’une vingtaine de prix importants dans les domaines du design et de l’architecture, dont l’équivalent du Nobel en architecture, le Compaso d’Oro, pour l’ensemble de sa carrière en 1994. 

S’il fallait retenir 1 ou 2 points saillants dans une carrière aussi riche, ce serait, sans aucun doute, l’ingéniosité du maestro italien dans la conception de certaines pièces de mobilier qui m’amène à dire de lui qu’il est un véritable architecte de l’équilibre et des formes. Pour certaines de ses créations design, Angelo Mangiarotti a exprimé un talent de concepteur-architecte peu commun.

Il en va ainsi pour la mise au point de la très astucieuse bibliothèque modulaire Cavalletto, dessinée au milieu des années 1950 : des montants en forme de V renversé sont superposables par la simple action de la gravité, génialissime ! Le système a été breveté il y a plus de 50 ans et laisse toujours admiratif : les pièces peuvent s’imbriquer, sans serrage, ni joint.

Bibliothèque modulaire Cavalletto, conception et design : Angelo Mangiarotti, 1953. Les éléments à tréteaux en forme de « V » inversé s’imbriquent naturellement...
© Studio Twenty Seven

Dans les années 70, Angelo Mangiarotti récidive avec la même ingéniosité pour créer une série de tables de marbre et de pierre. Les collections Eros ou Eccentrico exploitent le même principe : le joint gravitationnel, qui permet d’encastrer, par exemple, un pied conique dans un plateau de marbre, le tout joint par la seule force de la gravité. 

Guéridon en marbre noir, conception et design : Angelo Mangiarotti, Collection Eros, 1971. Angelo Mangiarotti aimait particulièrement travailler le marbre pour y expérimenter des techniques. © Terre Meuble

Table basse en forme de trèfle en marbre blanc, conception et design : Angelo Mangiarotti, Collection Eros. Les pièces de Mangiarotti sont empreintes d’une grande élégance...
© Terre Meuble

Tables de repas elliptiques Eccentrico, conception et design : Angelo Mangiarotti. La collection Eccentrico date de 1979. Depuis 2010, c’est Agape, une marque italienne spécialisée dans l’univers de la salle de bains, qui édite et distribue sous le nom Agape Casa, certaines pièces majeures en marbre et bois précieux du designer italien

Dans le domaine architectural, 2 autres projets menés par Angelo Mangiarotti ont particulièrement retenu mon attention, démontrant un esprit expérimental, en phase avec l’avant-garde architecturale de son époque. Tout d’abord, la réalisation en 1957 de L'église Mater Misericordiae de Baranzate, en collaboration avec Bruno Morassutti. Un bâtiment à l’allure extérieure brutaliste et qui mélange à l’intérieur les matériaux : béton, métal, verre, bois, polystyrène, ... Les 2 architectes ont réussi à produire une lumière douce et mystique à l'intérieur de l'église, étonnant ! 

Église Mater Misericordiae de Baranzate, Milan, architectes : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1957
©Andrea Ceriani

Église Mater Misericordiae de Baranzate, Milan, architectes : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1957 ©Andrea Ceriani

Intérieur de Église Mater Misericordiae de Baranzate, Milan, architectes : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1957
©Andrea Ceriani

Intérieur de Église Mater Misericordiae de Baranzate, Milan, architectes : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1957
© Ivo Stani

Seconde réalisation marquante : La "Maison à trois cylindres", un immeuble résidentiel situé dans une copropriété à Milan, dans le quartier de San Siro. Construit de 1959 à 1962, cet ensemble de 3 bâtiments cylindriques détonne par rapport à la sobriété habituelle de l'architecture milanaise. Mangiarotti et Morassutti conçoivent le projet avec un cahier des charges original à l’époque : concevoir des unités immobilières individuelles. Ainsi, chacun des 3 volumes cylindriques abrite un appartement par étage, surplombant toute la circonférence.

Plan de la maison à 3 cylindres

La Maison à 3 cylindres, architecture : Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, 1959-1962. Les 3 volumes sont surélevés par rapport au sol, laissant place au jardin, qui peut s'infiltrer jusque sous le bâtiment
© Angelo Mangiarotti

Disparu en 2012, Angelo Mangiarotti étaient un des derniers géants de l’architecture et du design italien de l’après-guerre. Créateur protéiforme, ses réalisations architecturales, son ingéniosité dans le design, et la beauté charnelle de ses pièces de mobilier continuent d’enchanter les amateurs éclairés. 

François Boutard

Crédit photo cover : Design Market

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