Le seul nom de Putman évoque une certaine idée du chic à la française. Un chic non pas tapageur, mais sobre et élégant. Andrée Putman est une figure singulière de l’architecture et du design français, immédiatement reconnaissable à sa silhouette longiligne, sa coupe de cheveux asymétrique, et un look toujours impeccable. Elle a laissé derrière elle une œuvre remarquable, marquée essentiellement par son allant pour l’architecture d’intérieur et un goût prononcé pour un raffinement discret qui ne laisse rien au hasard. Retour sur une carrière qui s’est construite sur le tard, à travers 6 œuvres emblématiques.
Née au sein d’une famille bourgeoise de banquiers et de notable, Andrée Putman (1925-2013) se destine dans un 1er temps à la musique, encouragée par une mère pianiste. Cependant, la rigidité de l’enseignement musical classique freine ses ardeurs. Un élément de son enfance vient cependant susciter en elle le goût des belles choses, de l’architecture en particulier. Petite, elle passe une grande partie de ses étés à l’Abbaye de Fontenay, un magnifique ensemble cistercien racheté par son grand-père en 1906. Plus tard, elle expliquera avoir été « nourrie » par la géométrie des lieux, et notamment des jeux de lumière.
Partie de rien, excepté un 1er Prix d’Harmonie du Conservatoire, Andrée Putman se passionne peu à peu pour la peinture, l’architecture et la décoration. Elle commence par collaborer comme journaliste spécialiste « maison » et « décoration » pour plusieurs magazines dont Femina et Elle. En 1958, elle devient styliste pour la chaîne de magasins Prisunic et épouse le collectionneur, éditeur et critique d'art Jacques Putman. Grâce à lui, elle rencontre des artistes comme Pierre Alechinsky, Alberto Giacometti ou encore Niki de Saint Phalle.
En 1971, elle cofonde avec l’homme d’affaires Didier Grumbach la société Créateurs et Industriels, et fait connaître de jeunes stylistes talentueux dont Jean-Charles de Castelbajac. 7 ans plus tard, elle crée son entreprise, Ecart, qui se fait connaître en rééditant des meubles design des années 30 (René Herbst, Robert Mallet-Stevens, Pierre Chareau, Eileen Gray, ...). Puis, elle amorce un virage fondamental vers la conception d’espace : en 1984, elle aménage l’Hôtel Morgans à New-York. Elle accède à la renommée internationale, sa carrière décolle. Elle affirme à cette occasion certains principes du « style Putman » : le fameux damier en noir et blanc, des lignes simples, des structures pures et une décoration minimaliste mais classieuse.
Après l’aventure du Morgans, Andrée Putman enchaîne les projets d’architecture intérieure : elle conçoit des hôtels, dont Le Lac au Japon, l’Im Wasserturm en Allemagne et le Sheraton à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Elle réalise aussi des boutiques pour les marques Balenciaga, Bally, Lagerfeld. En 1984, elle élabore le mobilier de Bureau pensé pour Jack Lang, alors Ministre de la Culture. De 1983 à 1990, Andrée Putman se lance dans un défi d’envergure : la réalisation de l’ensemble de l’aménagement intérieur et du mobilier de l’entrepôt Lainé, un ancien bâtiment industriel achevé en 1824 et qui abrite le Centre d'arts plastiques contemporains de Bordeaux (CAPC).
Avec l’aménagement intérieur du CAPC, Andrée Putman a prouvé une grande intelligence artistique pour concevoir un mobilier en phase avec l’esprit d’un lieu très particulier. En 1993, la compagnie Air France pense naturellement à elle pour rénover l’ensemble des éléments composant l’intérieur du Concorde. Après tout, si Andrée Putman incarne une certaine élégance audacieuse « à la française », le Concorde représente le fleuron de l’aéronautique française. Les 2 véhiculent un art de vivre et sont faits pour s’entendre.
En 1997, Andrée Putman crée le studio qui porte nom, spécialisé en architecture intérieure bien sûr, mais aussi en design et scénographie. En 2000, Andrée Putman montre une autre facette de son talent protéiforme. Pour l’entreprise d'orfèvrerie et des arts de la table française, Christofle, elle dessine la ligne de couverts et d’objets Vertigo. Un design à son image : une esthétique simple et pure alliée à la fonction utilitaire des objets. Elle complète sa collaboration avec Christofle en 2005 avec une ligne de bijoux, prénommée Idole, pour laquelle elle décline une nouvelle fois un anneau « twisté », qu’elle avait créé pour la ligne Vertigo. Selon Christofle : « une idée forte du chic parisien, à la fois totalement atemporel mais toujours dans l’air du temps. ».
Andrée Putman continue d’enchaîner les projets d’importance. En 2001, elle signe la reconversion de l’ancien hôtel particulier du XIXème siècle Pershing, en un délicieux hôtel-boutique contemporain, le Pershing Hall. Derrière la façade Second Empire du bâtiment, l’hôtel abrite une vaste cour intérieure avec un mur végétal de 30 m de haut réalisé par Patrick Blanc. Andrée Putman revampe le lieu pour en faire un hôtel calme et discret en journée, mais animé le soir avec une ambiance lounge légèrement kitsch. Elle y crée des atmosphères à la fois feutrées et vibrantes. La décoration des chambres reste elle cosy et contemporaine pour une atmosphère apaisante.
En 2008, Andrée Putman revient à son 1er amour : la musique. Elle dessine pour Pleyel, la plus ancienne marque de piano française, Voie Lactée, un piano magnifique. Il s’agit véritablement d’un objet de luxe unique qui mélangent l’univers de la musique classique et du design. Un mariage d’amour entre classicisme et modernisme. Depuis 2007, Olivia Putman, la fille d’Andrée, est aux commandes de Studio Putman et continue de faire vivre l’ADN familial : la recherche d’un grand raffinement, le sens du détail, un travail sur la lumière, et la conscience de la beauté intrinsèque de matériaux simples...
François Boutard